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SYNDICATS
25.04.2013

Discours de clôture du Congrès de Nevers

24.04.2013 - Nevers.
Discours de clôture de Philippe Collin, porte parole de la Confédération Paysanne au congrès de Nervers - 23 et 24 avril 2013.

Avant de clore ce Congrès, je voudrais revenir sur les événements qui ont marqué l'agriculture et notre syndicat depuis le Congrès de Lille. Voila deux ans que nous déclinons nos « Dix mesures pour être et devenir paysan ». C'est le fil conducteur de nos actions syndicales. Ces actions ont été entreprises dans un contexte de crise.

Cette crise est depuis 2008 le maître mot qui  permet d'imposer des contraintes de plus en plus fortes aux citoyens. L'Europe financière impose à tous des règles que nous, paysans, citoyens, refusons. Ces règles sont les règles de l'austérité, de la soumission aux "signaux des marchés", de la primauté du financier sur l'humain. Cette crise a remis en cause ce qui restait des systèmes mutualistes, des systèmes de solidarité. Elle est la justification des sacrifices demandés à certains, toujours les mêmes, les plus faibles. Elle est la justification de garanties données à d'autres, toujours les mêmes, les puissants et les possédants, les Mittal, les HSBC et les Besnier. La privatisation des profits et la nationalisation des pertes sont les maîtres mots de l'économie moderne !

La crise n'est pas que financière, elle est globale et touche, de manière systémique, tous les secteurs de notre société : nous sommes face à une crise environnementale, politique et sociale majeure. Des gaz de schistes aux agrocarburants, de la méthanisation à la prolifération des panneaux photovoltaïques sur les terres agricoles, les questions énergétiques ont un impact considérable sur les modèles agricoles, sur l'accaparement des terres, sur le changement d'usage des terres agricoles. Ces questions énergétiques ont aussi des effets négatifs sur l'évolution de l'alimentation des populations. Au-delà de tout cela, c'est la pérennité de nos agricultures qui est menacée par ces décisions politiques.  Voici les choix auxquels nous sommes confrontés. Ces questions énergétiques ne sont qu'une des facettes de la crise environnementale. Car la crise environnementale, c'est aussi laisser un monde qui soit le plus possible préservé de l'activité humaine : pollution de l'air, de l'eau, largage de pesticides et modification de la biodiversité sont les effets avérés de nos activités. Ils doivent être en permanence pris en compte si nous avons la prétention d'être responsable.

Mais la crise, c'est aussi la crise politique. La crise politique c'est cette incapacité pour la classe dirigeante de modifier les causes, cette classe dirigeante ne fait que gérer les conséquences, revendique son impuissance et assume sa soumission aux forces économiques, du marché, de la finance et des lobbys.

La crise sociale, c'est les pertes d'emploi en agriculture et dans l'industrie. C'est Florange bien sûr ou Pétroplus, mais c'est aussi plusieurs dizaines de plans de licenciement qui ne disent pas leur nom, ne font pas de bruit, ne passent pas au JT de 20h. Ils se font de façon discrète sous la forme de disparition de fermes, de paysans qui jettent l'éponge ou qui se pendent dans leur grange. La crise sociale, c'est la disparité croissante des revenus, y compris chez les paysans. Les comptes de l'agriculture donnent des résultats chiffrés de moins en moins pertinents et qui ne font que masquer l'injustice de la répartition des aides et des rentes de situation de certains.

C'est une logique de restructuration qui est à l'œuvre en Europe. Malgré les grandes déclarations d'intention formulées par le Commissaire Dacian Ciolos, la PAC* que nous souhaitons n'est pas au rendez-vous. Les rapports actuels au sein de l'Union Européenne sont globalement défavorables à l'agriculture que nous défendons. Certes, le budget de la PAC* est globalement maintenu et on pourrait s'en réjouir si la question de la répartition des soutiens avait été réglée. On pourrait s'en réjouir si la légitimité des soutiens publics vis-à-vis de l'ensemble de la société était devenue indiscutable. On pourrait s'en réjouir si l'Europe avait mis au centre de ses préoccupations agricoles une indispensable organisation et maîtrise de la production. On pourrait s'en réjouir si des moyens efficaces pour protéger nos agricultures et nos concitoyens de la volatilité des prix étaient mis en place. C'est ainsi, les grands arbitrages sont faits. La part de chacun des Etats est fixée. Il n'y aura pas de bouleversement majeur dans les répartitions entre chacun d'eux.

En revanche, nous avons une marge de manœuvre au niveau des Etats, marge de manœuvre qui, comme la PAC*, est de moins en moins commune. Alors, qu'est-ce que nous voulons pour la France ? Sur quoi voulons-nous peser ? Nous défendons depuis toujours une plus juste répartition des aides. Celles-ci sont scandaleusement concentrées dans la poche de certains. La mesure de majoration des soutiens aux premiers hectares va dans le bon sens. C'est le début d'une redistribution des soutiens en fonction de la taille des fermes. C'est insatisfaisant sans doute et certainement pas comme nous l'avions imaginé mais c'est un début. C'est indispensable mais encore insuffisant pour permettre à la majorité des paysans d'avoir un avenir. Il faut obtenir un meilleur recouplage des aides pour certaines productions, d'élevage en particulier. C'est à la détermination du gouvernement que nous pourrons juger de sa volonté de changement. Contractualisation, prix rémunérateurs, accès au foncier, installation, gouvernance de l'agriculture : nous avons interrogé le ministre longuement sur ces sujets, nous avons eu quelques réponses mais nous restons en grande partie sur notre faim.

Trop de productions sont en crise, ce n'est pas que l'élevage qu'il faut sauver, c'est aussi l'arboriculture, la viticulture, l'apiculture, l'horticulture. Nous avons communiqué massivement, au cours de la campagne électorale, sur la nécessité de sauver l'élevage. Sauver l'élevage, sauver les éleveurs, sauver leur revenu, sauver la capacité de nos territoires à créer des richesses. Certains coucous viennent dans le nid que nous avons patiemment construit au cours de cette campagne. Ils ont tout raté en matière d'élevage : ils n'ont pris en compte ni les éleveurs, ni leur situation, obnubilés qu'ils étaient de préserver les intérêts particuliers de ceux qui sont déjà bien nantis.

Il faut aussi sauver tous les secteurs qui souffrent :

  • L'arboriculture et le maraîchage d'abord, caractérisés par la mise en concurrence au niveau international des travailleurs de toute la planète, jetés dans l'arène de la mondialisation ;
  • L'apiculture, ce secteur vital de l'élevage, qui meurt sous les pesticides et les OGM ;
  • La viticulture qui, en dehors de quelques productions de qualité, voit ses produits banalisés par la standardisation mondiale

Les élections ont montré que nous représentons toujours un paysan sur cinq. Nous représentons surtout un projet. Nous sommes une force sociale en phase avec la société. Nous côtoyons chaque jour de nombreux acteurs qui partagent les mêmes préoccupations que nous, dans des organisations qui ont des missions différentes des nôtres mais avec lesquelles nous avons des visions communes. Notre avenir, nos espoirs seront plus facilement satisfaits si nous sommes capables de construire avec tous ceux qui ont conscience que le modèle agricole qu'on nous impose depuis 50 ans nous condamne ; de construire avec tous ceux qui œuvrent au quotidien pour faire évoluer les politiques agricoles, pour ancrer les paysans dans les territoires ; de construire avec ceux qui ont pour priorité un revenu pour les paysans ; de construire avec ceux qui veulent une alimentation saine pour les consommateurs et des territoires vivants ; de construire avec ceux qui veulent que le consommateur soit traité comme un citoyen et non pas comme un client.

Très souvent, trop souvent, nos activités syndicales restent centrées sur le territoire national, par nature, par habitude, par facilité, par manque de moyens aussi. Mais nous savons que nous n'y arriverons pas seuls. Nous savons que les politiques nationales sont de plus en plus imbriquées et/ou soumises à l'ensemble des politiques de l'Union Européenne. C'est pourquoi nous travaillons au sein de la Coordination européenne Via Campesina (ECVC*) à la construction d'un syndicat européen. De la même manière, nous avons la nécessité et le devoir, avec les paysanneries du monde entier, de renforcer nos liens, d'appréhender, de comprendre et de revendiquer ensemble pour que les paysans cessent d'être la variable d'ajustement. Avec les paysans du monde dont nous partageons les préoccupations, nous devons ensemble engager les combats. Même si nous savons, et déplorons, que nous ne pouvons pas tout faire, que le chemin sera long et difficile, cette lutte avec tous les paysans de la terre doit se poursuivre.

Cette lutte doit se poursuivre car ce qui fait la fierté de notre métier de paysan nous rassemble :

  •          Nourrir la population ;
  •          Aménager le territoire ;
  •          Transmettre notre outil de production ;
  •          Préserver l'avenir avec une agriculture sans pesticides, sans OGM, sans plantes mutées mais avec des paysans.

Cette lutte nous devons l'amplifier, la nourrir inlassablement pour qu'elle nous permette de faire valoir nos droits :

  •          Le droit à la terre ;
  •          Le droit au revenu ;
  •          Des droits sociaux pour tous ;
  •          Le droit à la santé pour les paysans ;
  •          Des droits politiques pour ceux qui en sont privés ;
  •          Des droits syndicaux ;
  •          Le droit de ressemer les graines que nous récoltons ;
  •          Des droits économiques pour ceux qui ne veulent pas d'OGM, ni dans leur champs ni dans leurs auges ;

Cette liste n'est pas exhaustive et vous avez le devoir de la compléter, de l'amender, de la faire partager.

Après vous avoir dressé un état des lieux des aspirations des citoyens, des attentes de ceux que nous représentons, des attentes de notre syndicat, après en avoir été le porte-parole, à l'issue de ce congrès, je ne serai pas candidat au renouvellement de mon mandat. J'ai participé pendant six ans au Secrétariat national de la Confédération paysanne, dont quatre ans en tant que porte-parole. Je vous le dis avec émotion : six années passionnantes, riches de rencontres, d'échanges, de débats, de déceptions parfois, de satisfactions souvent.

Merci à vous qui m'avez confié ces responsabilités, je les ai assumées avec détermination, avec la conviction qui est la mienne depuis 30 ans. Merci aux paysans qui m'ont accordé leur confiance, à vous toutes et tous qui êtes dans cette salle, mais aussi à tous ceux qui ne sont pas là que j'ai rencontré dans toutes les campagnes de France et d'ailleurs. Merci à tous les salariés avec lesquels j'ai eu plaisir à travailler et qui contribuent, à Bagnolet et dans les départements et régions, à la construction de notre syndicat. Merci à tous les bénévoles qui œuvrent aux côtés de la Confédération paysanne. Finalement merci à nos adversaires et concurrents de m'avoir conforté dans l'idée que le projet de la Confédération paysanne est un projet viable, que la Confédération paysanne doit continuer à être un syndicat indépendant des firmes, et des pouvoirs politiques. Et puis toujours dans le même registre ironique, merci aux trois ministres de l'Agriculture que j'ai connu et qui n'ont fait que renforcer ma détermination à agir et à contester, à refuser les certitudes, assénées par ceux qui prétendent détenir la vérité sous prétexte qu'ils détiennent le pouvoir.

Je sais que notre syndicat saura élire dans quatre semaines une nouvelle équipe motivée. Je sais que cette nouvelle équipe sera autant imprégnée que nous avons pu l'être de la volonté de défendre les paysans, d'œuvrer pour que cette défense ne se conçoive qu'en lien et en interaction permanente avec le reste de la société. Il n'y aura pas d'avenir pour les paysans s'ils ne se soucient plus des citoyens. De même, il n'y aura pas d'avenir pour les paysans si les citoyens ne se soucient plus de nous.

Alors bonne chance à cette nouvelle équipe, bonne chance à tous.

Merci et au revoir.


Crédits photos : Jean-Christophe Tardivon
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