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MOBILISATION
30.10.2014

Un jugement sans fond

30.10.2014 -

Le 28 octobre à Amiens, les prévenus sur les marches du tribunal avant leur procès.

Le 28 avril, les juges du tribunal correctionnel d'Amiens, cantonnés au traitement des faits reprochés suite à des actions syndicales d'opposition à l'usine des milles vaches, a sévèrement condamnés neufs militants confédérés. Le fond n'a pas été entendu.

Sur la place devant le tribunal d'Amiens, 4000 personnes participent à une tonique fête citoyenne - « un barnum » selon les propos dédaigneux de l'avocat de Michel Ramery, l'entrepreneur de BTP propriétaire de l'usine des milles vaches, à une cinquantaine de kilomètres de là. C'est l'opposition à cette usine qui a amené ce joyeux rassemblement dans la ville, en soutien à neuf militants de la Confédération paysanne jugés en même temps par le tribunal correctionnel. Les neuf prévenus (1) sont poursuivis pour dégradation en réunion, incitation à la dégradation en réunion, vol, recel, ou encore refus de prélèvement ADN, à la suite de deux actions de la Confédération paysanne sur le chantier de l'usine, à Drucat (Somme), en septembre 2013 puis en mai 2014 (2).

La partie civile (Michel Ramery, absent, mais représenté par son avocat, Franck Berton, et deux cadres de ses diverses sociétés ayant monté le projet contesté) parle d'arrachage, de saccage, de violences intolérables. Violence ? « Je ne peux plus emmener mes petits-enfants se baigner dans la rivière près de chez moi tellement elle est polluée par les rejets de l'agriculture industrielle. Ça, c'est violent ! », répond Dominique Henry, paysanne dans le Doubs, une des neuf prévenus. «  Des usines à vaches, c'est ça qui est violent ! Et les conditions de nos gardes à vue après l'action de mai : ça c'est violent ! »

Leurs gardes à vue laissent en effet bien des traces et des questions aux prévenus. Laurent Pinatel, le porte-parole de la Confédération paysanne, témoigne : « Le 28 mai, en revenant de Paris où j'avais été interpeller Stéphane le Foll suite à l'action, j'ai été arrêté en gare d'Amiens par quinze robocops, équipés, armés, qui m'ont menotté au plus serré, à en avoir les poignets en sang. Lorsque je me suis retrouvé menotté au mur à la gendarmerie, j'étais tellement fatigué que j'ai eu peur d'avoir des problèmes de mémoires. J'ai demandé : ai-je commis un meurtre ? »

Tout au long des sept heures et demi d'audience, aux juges qui s'en tiennent strictement aux faits afin de savoir qui avait vraiment fait quoi, comment, en groupe organisé ou pas, les militants poursuivis répondent par le fond : ce qui a motivé leurs actions, la portée collective – et non résumée à neuf personnes – de celles-ci. Les faits contre le fond.

Des faits qualifiés d'hors-la-loi. « Mais quand une loi est injuste, il faut tout faire pour la modifier, déclare Laurent Pinatel. L'histoire de notre démocratie est faite de ça : des gens qui ont enfreint la loi pour la faire progresser. »

Et donc le fond : « L'action – à visage découvert et revendiquée – visait la dérive de l'agriculture, explique le porte-parole du syndicat. L'usine des mille vaches change l'histoire. Depuis la nuit des temps, la société allait se procurer sa nourriture dans des fermes, une production confiée aux paysans. Avec l'industrialisation de l'agriculture, nous irons nous la procurer dans des usines, il n'y aura plus besoin de paysans. »

Témoin de la défense, ancien secrétaire national de la Confédération, élu de Rhône-Alpes dont le conseil régional a voté en juin un vœu contre l'industrialisation de son agriculture, Olivier Keller illustre l'enjeu : « En Rhône-Alpes, il suffirait de 25 usines comme celle des mille vaches pour remplacer l'ensemble des fermes laitières de la région. »

L'usine ne se construit pas à n'importe quel moment. En avril 2015, il n'y a aura plus de limite de production par quotas en Europe. Partout on se prépare à produire plus de lait, à s'affronter sur le marché mondial, à faire baisser les prix pour cela, sans égard pour le revenu et la survie des petits éleveurs laitiers qui ne pourront tenir dans ces conditions.

Plusieurs fois, rappellent les prévenus, les opposants à l'usine de Drucat ont interpellé les pouvoirs publics, par des rencontres, des manifestations, des pétitions... La Confédération paysanne a même adressé une lettre ouverte au Président de la République. Tout est resté sans réponse.

« Alors oui, la Confédération paysanne a décidé d'agir, parce que tous les recours démocratiques sont restés lettre morte », rappelle Laurent Pinatel. Que pouvait-elle faire d'autre ? Si trois recours  doivent encore être examinés par le tribunal administratif d'Amiens, rien pour l'instant n'a pu arrêter la ferme qui produit depuis septembre, avec déjà 450 vaches.

La guerre de l'après-quotas laitiers se prépare

Témoin de la défense, l'élue écologiste d'Amiens Barbara Pompili – « venue dans son petit tailleur noir de députée de la République », comme tiendra à le souligner élégamment l'avocat de la partie civile -  témoigne des blocages au plus haut niveau de l'Etat : « Lorsqu'en temps que députés, nous avons interpellé le ministre de l'Agriculture sur le projet d'usine des mille vaches et les dérives de l'agriculture industrielle, Stéphane Le Foll nous a répondu que ce projet n'était pas son modèle, qu'il était contre... mais que c'était légal. Et quand nous lui avons demandé ce qu'il comptait faire pour changer la loi, nous avons bien vu qu'il ne voulait pas la changer. Là, je comprends le désarroi des paysans. Quand on a ce type de réponse inacceptable, on ne peut qu'agir et alerter l'opinion. »

Actions donc il y eut. Loin d'être vaines. Témoins et prévenus le rappellent : suite à ces mobilisations et celle de l'opinion alertée – plusieurs fois au cours du procès les paysans poursuivis ont été considérés comme des lanceurs d'alerte –, l'évolution de l'usine est soumise à autorisation préfectorale si elle veut aller au-delà de 500 vaches, la capacité de production électrique du méthaniseur – clé de voûte économique de l'usine, mais qui peine depuis à trouver les subventions nécessaires à sa construction – est réduite au quart du projet initial, et l'approvisionnement de celui-ci se limitera aux déchets d'origine agricole, déchets urbains et boues d'épuration étant désormais exclus.

Ces avancées se heurtent toutefois au traitement terre à terre des faits poursuivis. La partie civile porte la note : il serait question de 148 800 euros pour le seul démontage partiel de la salle de traite en mai 2014. Peu crédible. Sans compter le vol de pièces de cette salle : celles remise à Stéphane Le Foll, quelques heures après à Paris et transportées dans trois caddies (c'est ça, le recel) dont on a perdu ensuite la trace. Parmi les vols constatés: un cavalier en métal, 19 écrous, un boulon et six rondelles trouvés dans les poches d'Olivier Lainé, paysan en Seine-Maritime, lors de sa garde à vue...

« Ils ne sont bien sûr pas venu pour voler, dégrader, receler », recadre Grégoire Frison, l'un des trois avocats des prévenus. « La défense des paysans, c'est l'objet social de la Confédération paysanne , rappelle sa consoeur Laëtitia Peyrard. Les actions dont on parle aujourd'hui entrent dans ce cadre, c'est la même démarche que celles menées en opposition aux OGM et pour lesquelles des paysans ont été lourdement condamnés. Or, grâce à ça, aujourd'hui en France, nous n'avons pas d'OGM dans nos champs ! »

La note de la partie civile, présentée trop tardivement (le 25 octobre) sera examiné au civil le 11 jun 2015. Mais au pénal, la facture est déjà salée. Moins d'une heure après la fin de l'audience, le jugement est rendu, une célérité rare dans ce genre d'affaire : 2 à 4 mois de prison avec sursis, 300 euros d'amende pour celles et ceux qui avaient refusé le prélèvement d'ADN lors de leur garde à vue, et 5 mois de prison avec sursis pour le porte-parole national, Laurent Pinatel. Qui, à la sortie du tribunal rappelle le principal : «  Le tribunal  a acté que l'action syndicale n'était pas légitime. Mais l e combat contre l'industrialisation de l'agriculture et pour une alimentation de qualité continue ! »

Benoît Ducasse
 

NB : les condamnés avaient jusqu'au 7 novembre pour faire appel. Au bouclage de ce numéro, leurs décisions n'ont pas encore été prises.

(1) Emmanuel Aze, Thierry Bonnamour, Elina Bouchet, Dominique Henry, Olivier Lainé, Morgane Laurent, Laurent Pinatel,  Pierre-Alain Prévost, Valentin Sic

(2) Tagage du site pour photographie aérienne dans la nuit du 11 au 12 septembre 2013, démontage partiel du chantier de la salle de traite le 28 mai 2014.

 

 

Selon que vous serez ...

Le plus souvent, les juges n'accordent aucune mansuétude à la Confédération paysanne, malgré nos choix de conduire nos actions a visage découvert, et en respectant, tant faire se peut, les personnes et les biens.
En juin 2002, José Bové, porte-parole national, est incarcéré suite au démontage du chantier du Mac Do de Millau. En 2003, nouvelle incarcération suite à la neutralisation de riz transgénique dans les serres du Cirad*.
Ce 28 octobre, revoilà la Conf' devant un tribunal. Mais pour la longue liste des violences et destructions des affiliés de la rue de la Baume (1), les affirmations d'indépendance de la justice par rapport au pouvoir politique sont grotesques.
Ne gardons que quelques cas d'un passé récent. Qui se souvient de la destruction de deux entrepôts de viande bovine a Fougères, en octobre 2001 ? Pas de poursuites, l'Etat paiera les 10 millions d' euros de dégâts.
En février 1999, ceux de la même famille avaient saccagé le ministère de l'Environnement et le bureau de  la ministre, Dominique Voynet  : 1524 euros d'amende pour les quatre poursuivis !
2004 : l'hôtel des impôts de Morlaix est fracturé, mobilier et ordinateurs sont détruits, un policier blessé, 60 000 euros de dégâts. Les faits resteront impunis, le tribunal prononçant un non lieu car « au moment des faits, il n'a pas été possible d'identifier les auteurs ».
En septembre 2013, le siège du parc naturel du Morvan est dévasté par 70 engins agricoles et 150 encartés à la  Grande Maison. La presse constate : « Tout s'est déroulé sous le regard placide des gendarmes »... Depuis, rien.
Et bien sûr, plus récent encore, ce 20 septembre, l'incendie  - à  nouveau - du centre des impôts de Morlaix et celui des bureaux de la MSA*, parce que l'artichaut et le choux-fleur se vendent mal. Il n'aurait pas été possible d'identifier les véritables responsables : brouillard trop dense, soirée arrosée et troubles de la vue ...  La préfecture serait sur le point de publier la version officielle...

Christian Boisgontier

(1) le siège national de la Fnsea se trouve rue de la Baume, près des Champs Elysées, à Paris
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