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CAMPAGNES SOLIDAIRES
01.07.2015

Un combat légitime, et légitimé

17.06.2015 -

Les neuf militants devant le tribunal d'Amiens

Tous les mois découvrez un article de Campagnes Solidaires. Ce mois-ci, retour sur le procès en appel des 9 militants de la Conf' poursuivis pour leur combat contre les 1000 vaches.



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Le procès en appel des 9 militants de la Confédération paysanne poursuivis pour avoir participé à des actions symboliques contre le projet de ferme-usine des 1000 vaches, dans la Somme, a été l'occasion de rappeler le sens du combat syndical et sociétal mené.

Ce 17 juin, un nouveau procès s'ouvre devant la cour d'appel d'Amiens pour les 9 militants de la Confédération paysanne poursuivis après avoir manifesté, avec une centaine de leurs camarades, sur le site de la ferme-usine des 1000 vaches à Drucat, dans la Somme. La première manifestation, le 12 septembre 2013, a consisté en un tag géant, visible du ciel, afin d'alerter l'opinion sur le projet insensé de ferme-usine dont seules les fondations étaient alors posées. La seconde, le 28 mai 2014, en organisant le démontage symbolique du chantier de la salle de traite, pointait l'avancée d'un projet que personne, du côté des décideurs politiques locaux et nationaux, ne semblait vouloir arrêter, ni même remettre en cause.

Qui dit appel dit retour à la case départ pour la procédure de jugement : nouvelle instance, nouveaux juges, nouvelle procureure, « compteur » des sanctions remis à zéro (cf. encadré). Mais le contexte a bien évolué depuis le jugement en premier instance du 28 octobre 2014. La partie civile – l'entrepreneur Michel Ramery et ses diverses sociétés participant au montage de la ferme-usine – est bien moins fringante. Elle s'est fait prendre la main dans le sac la semaine précédente : suite aux révélations médiatiques d'un ex-salarié, un contrôle officiel a constaté qu'il n'y avait pas 500 vaches laitières sur le site, comme autorisé à ce jour, mais 800, soit un dépassement notable (1). Ainsi l'avocat de Michel Ramery, Franck Berton, sera bien moins virulent que lors du procès d'octobre dernier.

Mais pourquoi les prévenus ont-ils fait appel du jugement d'octobre ? La question revient tout au long des cinq heures et demi d'audience. Les arguments ne manquent pas. D'abord la lourdeur des sanctions : « Des peines de prison, même avec sursis, c'est stigmatisant pour des citoyens qui ont exercé leur liberté syndicale », résume Laetitia Peyrard, une des deux avocats de la défense. D'autant « qu'ici le « mobile » de leur action, c'est notre défense : ils ont attiré l'attention sur des dangers bien réels qui menacent les paysans et notre avenir», complète Guillaume Combes, leur autre avocat, qui poursuit : « Ces personnes n'ont rien à faire devant vous. D'autant qu'on ne leur a rien épargné ! »

Et toutes et tous de rappeler les moyens disproportionnés mis en œuvre pour les poursuivre : Laurent Pinatel, le porte-parole national du syndicat, arrêté brutalement, plaqué au sol, menotté à la gare d'Amiens le soir du 28 mai 2014 ; les autres prévenus, tout comme lui gardés à vue 48 heures, accompagnés dans leurs déplacements menottés, par des gendarmes lourdement équipés. « Nous avons été traités comme des délinquants, comme si nous venions de commettre un casse », rappelle Valentin Sic, le plus jeune des militants poursuivis. Sur de tels propos plane toujours, évoquée ça et là, la clémence, pour ne pas dire l'impunité dont bénéficient d'autres organisations syndicales agricoles, quand bien même elles incendient des bâtiments publics ou mettent à sac des ministères...
Le « bâclage » du jugement en premier instance revient aussi au cours des débats : peu banal, après plus de huit d'heures d'audience, de décider juste en suivant, en moins de deux heures, des peines, de leur qualification et de la nomination d'un expert au civil. Comme si tout était joué d'avance...

Mais c'est avant tout le fond qui motive l'appel : neuf militants, pris au hasard parmi des dizaines d'autres, ne peuvent avoir à assumer seuls des actions syndicales revendiquées en tant que telles, en opposition à un projet de « ferme relativement importante, c'est le moins qu'on puisse dire », selon les propos du président de la cour d'appel.
Le procès aura permis de rappeler les motivations des actions incriminées. Mais aussi d'en préciser le contexte général, par l'intervention marquante d'Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial pour le droit de l'alimentation auprès de l'ONU* et unique témoin de la défense (cf.p.10) : « Depuis 50 ans, l'agriculture industrielle pousse l'agriculture paysanne dans ses retranchements, telle un rouleau compresseur entièrement tourné vers l'augmentation des volumes, la volonté de faire toujours baisser les prix à la production, sans se préoccuper des conséquences sociales ».  

« Nous avions déjà tout fait, rappelle Laurent Pinatel. Nous avions interpellé les pouvoirs publics, le ministre de l'Agriculture, discuté, argumenté, pétitionné, nous avions manifesté à Paris, avec les autres opposants au projet des 1000 vaches à l'occasion du Salon de l'Agriculture en 2013... Et rien, une fin de non recevoir. Le projet se mettait en place, irrémédiablement. Alors, nous avons agi, nous n'avions pas d'autres choix. L'industrialisation de la filière laitière fait des dégâts considérables, casse des fermes, élimine les éleveurs dont le nombre chute en France et en Europe.  Quelle est la finalité ? Des prix de plus en plus bas, avec de moins en moins de paysans, des régions entières où la production de lait va disparaître ? Qui décide ?  »

Paysan en Savoie, Thierry Bonnamour complète : « Il y a cinquante ans quand on restructurait l'agriculture française, les paysans partaient trouver du travail en ville ou dans l'industrie. Aujourd'hui, du travail comme ça, il n'y en a plus. Si on est obligé d'arrêter, c'est le chômage ! Et quand je vois une usine à 1000 vaches, je pense à mes voisins avec leurs trente ou cinquante vaches. Ils se disent : si je veux tenir, il va falloir que je passe à 100, ou à 150, il va falloir que je prenne d'autres terres, pour m'agrandir, que j'investisse, que je m'endette... Jusqu'où ? »

« Ce n'est pas le monde que je veux laisser à mes enfants et à mes petits-enfants, résume Dominique Henry, paysanne retraitée dans le Doubs. Un monde où les animaux ne sont plus considérés comme des êtres vivants mais comme de la matière, de la marchandise. Un monde où bêtes et hommes sont pris dans un processus industriel dégradant, insupportable. Chez moi, les rivières sont polluées par les nitrates des élevages intensifs, mais ce n'est pas en organisant régulièrement des manifestations citoyennes pour aller nettoyer les rives et les plages que nous agiront vraiment, efficacement contre ces dérives ! »

Il a donc fallu passer à l'action. Syndicale. « Nous n'agissons pas pour le plaisir, rappelle Laurent Pinatel. Nous avons réfléchi, débattu, pesé le pour et le contre, les risques, et finalement décidé collectivement, au niveau du comité national de la Confédération paysanne ». « Ce qui s'est passé par la suite permet de légitimer leur combat, constate Laetitia Peyrard. C'est à partir de ces actions que l'opinion a été alertée, que le ministère a commencé à réagir. Le débat public s'est imposé. Des sondages montrent que les citoyens sont très majoritairement opposés – des chiffres de 70 % sont publiés – aux fermes-usines. Des pétition ont été déposées en ce sens, au ministère de l'Agriculture, avec près de 400 000 signatures. Les soutiens politiques, syndicaux, associatifs, abondent. » Et les choses, concrètement, bougent : « Si on est passé de 1000 à 500 vaches aujourd'hui, c'est grâce à eux, rappelle l'avocate. Si la capacité du méthaniseur qui justifiait la taille du projet de la ferme-usine a été réduite de moitié, c'est grâce à eux ! »

« Nous demandons au ministre de l'Agriculture et aux autres responsables politiques d'agir, en déduit Laurent Pinatel. Il faut une loi pour protéger les paysans, les territoires, les consommateurs de ces dérives : la liberté d'entreprendre ne doit pas être la liberté de tout prendre ! » « Plein de lois n'auraient pas été votées s'il n'y avait pas eu de tels actes illégaux, souligne Laetitia Peyrard. Qu'on songe aux faucheurs volontaires et aux OGM. On peut penser ce qu'on veut de leur action, mais aujourd'hui, les consommateurs ne se plaignent pas de ne pas avoir d'OGM dans les assiettes ou dans les champs en France ! »

A l'issue des débats, la procureure, dans un réquisitoire a minima et ne pouvant guère faire autrement,, demandera la confirmation du jugement de première instance. Les avocats de la défense, eux, demanderont logiquement la relaxe. Le jugement sera rendu le 16 septembre.


Benoît Ducasse


(1) Elle avait en principe trois semaine, à compter du contrôle sous autorité préfectorale (9 juin) pour revenir à l'effectif maximal de 500 vaches laitières
 
 
9 militants poursuivis, condamnés en première instance

- Laurent Pinatel, porte-parole national de la Confédération paysanne : 5 mois de prison avec sursis et 300 euros d'amende ;
- Thierry Bonnamour, paysan en Savoie : 4 mois avec sursis et 300 euros d'amende ;
- Olivier Lainé, paysan en Seine-Maritime : 4 mois avec sursis ;
- Dominique Henry, paysanne retraitée dans le Doubs : 4 mois avec sursis et 300 euros d'amende ;
- Valentin Sic, étudiant, fils de paysans dans les Alpes-Maritimes : 3 mois avec sursis ;
-  Pierre-Alain Prévost, animateur de campagnes à la Confédération paysanne : 2 mois avec sursis et 300 euros d'amende ;
- Emmanuel Aze (paysan dans le Lot-et-Garonne), Elina Bouchet et Morgane Laurent (salariée et animatrice de campagne à la Confédération paysanne) : 300 euros d'amende

NB : les 300 euros d'amende sont relatifs au refus de prélèvement d'ADN lors des gardes à vue.
 
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