Fausses solutions et vrais espoirs
Guillaume Roué (Inaporc), Paul Auffray (FNP), Daniel Picart (Marché du porc breton) au ministère de l'Agriculture en août 2015. Leur stratégie productiviste et exportatrice est en échec depuis 30 ans, mais ils sont toujours là... à la différence de milliers d'éleveurs de porcs qui depuis ont mis la clé sur la porte.
Si les crises succèdent aux crises pour les éleveurs de porc, peut être un jour faudra t-il remettre en cause les solutions censées les régler, négociées entre les « représentants de la profession » et le ministère.
Cet été, les actions spectaculaires des éleveurs de porcs bretons criant leur détresse ont braqué les projecteurs sur un secteur d'activité régulièrement remuant. Voyons donc ça de plus près...
Du côté des « représentants professionnels », une chose est frappante : ce sont toujours les mêmes. Guillaume Roué, Paul Auffray, Jef Trébaol, Jean Michel Serre, tous issus des rangs de la FNP (section porc spécialisée de la Fnsea), sont aux manettes depuis au moins deux décennies. Jacques Le Maitre, Fortuné Le Calvé, Marcel Corman avant eux y sont restés aussi longtemps. Ils ont donc constamment participé aux discussions avec les ministres successifs. Plan de sortie de crise après plan de sortie de crise, rien n'y a fait. Curieusement, les éleveurs ne demandent pas le remplacement de leurs représentants. Chacun est pourtant en capacité de juger de leur compétence au vu des résultats obtenus.
Ce n'est pas faute d'avoir demandé avec constance déréglementations, allègements de « charges », aides à l'export (hors UE*), restructuration accélérée et autres subventions à la modernisation des bâtiments d'élevage ... Demande auxquelles, avec constance, tous les ministres de l'Agriculture ont répondu, le petit doigt sur la couture du pantalon.
Les politiques nationaux ne font pas le prix du porc au marché au cadran de Plérin. Il n'est un secret pour personne que la Commission européenne est très libérale, mais rien ne se décide sans l'accord du conseil de l'Union où les voix de la France et de l'Allemagne pèsent lourd. La France y a donc avec les autres accepté de lever tous les outils de régulation des différentes productions.
Du coup, on se lâche : quelques bassins de production (Allemagne, Espagne, Danemark, Pays Bas, France) produisent 107% des besoins internes à l'UE*. Ils se font une guerre acharnée, développant leur production en espérant asphyxier les autres et prendre ainsi leur place sur les marchés mondiaux, n'hésitant pas à exploiter sans merci les travailleurs « détachés », venant de pays plus pauvres travailler dans les porcheries, les abattoirs et les usines de transformation.
Mais quand, pour une raison X ou Y, un marché export se ferme (la Russie aujourd'hui), les porcs se retrouvent sur un marché interne plus qu'autosuffisant, engorgeant celui-ci et entraînant la chute des prix. Tous les producteurs européens se retrouvent ainsi pris en otage par des stratégies de « développement » vers des marchés pourtant reconnus très volatils, où la concurrence aux prix les plus bas est de plus en plus féroce.
Dans un élan des plus contradictoires, les caciques de la filière en France clament maintenant qu'il faut manger français ! Mais imposer la consommation de viande estampillée VPF (viande de porc française) ne pourra jamais se faire de façon autoritaire. Détruire des camions de viande de porc venant des pays voisins, réclamer que les entreprises françaises utilisent exclusivement de la viande produite en France et quémander dans le même temps des aides pour exporter n'est audible pour personne. Il faut que la profession arrive à prouver que l'Etat, les consommateurs ou les contribuables ont quelque chose à y gagner. VPF n'est pas un gage de qualité autre que sanitaire, ce qui est déjà bien mais très insuffisant.
Améliorer la qualité gustative de la viande, les conditions d'élevage et la protection de l'environnement, réduire l'impact sur l'effet de serre, sont autant d'objectifs que les « représentants de la profession » présentent toujours comme des boulets, des freins à la compétitivité. Ils ont raison s'ils veulent être présents sur les marchés mondiaux où seul le prix compte, mais ils ont tort s'ils veulent faire cesser les crises à répétition (1).
Prendre en compte les objectifs précités, c'est approcher le véritable coût du kilo de viande. Actuellement, une partie du coût de production est externalisé, en particulier celui environnemental payé par les contribuables (2) ou les consommateurs d'eau. Donner aux consommateurs de véritables raisons de choisir une viande de porc produite en France, et donc imposer par contre coup à l'agroalimentaire et à la restauration collective d'en faire autant, en introduisant d'autres critères que le prix immédiat, a toute les chances d'être plus efficace que des remèdes coûteux qui ne règlent rien. Il faut pour cela un minimum de prise de conscience professionnelle et de volonté politique. Sans quoi, c'est l'élevage qui en fera les frais. Le peu d'intérêt qu'il suscite auprès des jeunes commence à inquiéter au sein même des organisations économiques bretonnes, faisant craindre une baisse importante des volumes produits dans un avenir proche. Il y a donc un intérêt et une opportunité à faire bouger les lignes.
Thierry Thomas,
paysan dans les Côtes-d'Armor
(1) A noter l'énormité de la position du président élu par les éleveurs de la coopérative Cooperl qui accuse un prix du porc trop élevé. Un comble pour un représentant d'éleveurs qui se plaignent justement du contraire ! C'est bien la stratégie d'export hors UE* de cette coopérative de poids qui amène à de telles contradictions.
(2) Multiples plans d'aide à la reconquête de la qualité de l'eau, contribution de l'élevage au réchauffement climatique)