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CAMPAGNES SOLIDAIRES
26.11.2020

Fausse viande, faux fermiers mais vrai danger pour l’élevage paysan

Fin septembre, la start-up Les Nouveaux Fermiers, soutenue par l’investisseur Xavier Niel, patron de Free, ouvre la première usine française de viande végétale de substitution. Aussitôt, la Confédération paysanne annonce saisir la justice pour dénoncer l’usurpation du terme fermier, réclamant la protection de cette dénomination et l’arrêt «des assauts marketing de l’agrobusiness».

Un nouveau produit apparaît sur le marché végan, dans l'air du temps, qui s'accapare à son tour, faussement et sciemment, le mot « fermier ». Pour autant, j'ai le sentiment que le contexte est différent des autres tentatives d'appropriation de ce terme. Il me semble que l'intention n'est pas tant de bénéficier de l'image positive que véhicule cette appellation dans l'inconscient collectif que d'annoncer, en y accolant l'adjectif « nouveau », une transition vers la modernité, le progrès, et faire passer dans la foulée l'élevage pour ringard.

C'est que, dans le même temps, un référendum d'initiative partagé initié, entre autres, par Xavier Niel, était dans l'actualité à l'occasion de la présentation, par le groupe EDS (1), d'une proposition de loi (PPL) sur le bien-être animal à l'Assemblée nationale (proposition qui, présenté par un groupe minoritaire, n'a finalement pas abouti). Coïncidence ? Peut-être, mais impossible dans ce contexte de ne pas penser au livre de Gilles Luneau, Steak barbare (2). L'enquête qu'il a mené sur l'agriculture cellulaire est saisissante : « Un e chose est sûre, le lobbying politique et sociétal précède le débarquement des viandes à base de cellules souches. Le subventionnement d'organisations européennes (L214, CIWF...) par les réseaux altruistes est le signe que l'offensive des ersatz sur le sol européen a débuté ».

Depuis que l'on a commencé, il y a quelques années, à étudier le sujet au sein du groupe de travail de la Confédération paysanne sur les relations humain-animal, je me suis aperçu qu'il fallait choisir ses mots avec prudence pour parler des organisations véganes et du danger du lobby des viandes de substitution. Pourtant, ces lobbies sont bien à l'œuvre et les choses vont vite, très vite.

En 2016, dans une conférence à Paris, le philosophe australien Peter Singer, initiateur du mouvement végan, répétait avec insistance qu'il était nécessaire de soutenir les promoteurs de l'alimentation de substitution. Il n'y aura pas, selon lui, de révolution végane sans cet appui. Les intérêts sont différents (idéologique ou financier) mais la motivation est commune : tourner la page de l'alimentation issue de l'élevage. C'est d'autant plus intéressant pour les investisseurs qu'ils peuvent allier profit et bonne conscience, persuadés que l'idéologie végane s'inscrit dans un progrès humaniste.

Le danger est bien là, dans l'acceptation collective que l'élevage et le travail avec des animaux sont des pratiques du passé, à contre-sens d'une transition éthique et écologique. La préparation des consciences est entamée, surtout grâce aux réactions qu'ont suscité les diffusions de vidéos tournées dans des abattoirs, à la propagande des associations abolitionnistes et à leur lobbying politique. Une démarche si efficace que certains partis ont tendance à déléguer la réflexion sur la question animale à ces mêmes associations.

L'acceptation de certaines mesures de la PPL est le résultat de cette préparation des consciences. En dehors de toute considération personnelle sur les spectacles d'animaux, je pense en particulier au discrédit lancé à l'égard des cirques, sans distinction des pratiques et avec la confusion entretenue entre animal sauvage et animal d'origine exotique né en captivité depuis plusieurs générations.  

Pour nous, syndicat agricole, bien que la prise de conscience soit réelle au niveau national, que le  travail de réflexion soit commencé, que les stratégies se dessinent, je ne cesse de me dire, au vu de la difficulté à mobiliser les énergies, qu'il est urgent que le monde paysan sorte de la surprise, voire du déni. Parce que plus tard nous entrerons dans la bataille et plus celle-ci sera difficile.

Lorsque consommer de la viande de veau, d'agneau ou de chevreau sera considéré, à l'instar de la consommation de viande de cheval, comme un acte de barbarie, et si, comme l'annonce Gilles Luneau « lorsque les erzats de viande cellulaire seront en tète de gondole, il sera trop tard », peut-être verrons-nous différemment les préoccupations syndicales qui nous occupent aujourd'hui.

Sans doute est-il temps, avant de subir dans nos fermes l'uniformisation réglementaire du bien-être animal, préambule à la fin de l'élevage, de dénoncer sans ambiguïtés la maltraitance animale perpétuée par les dérives de l'agriculture depuis son industrialisation, et d'affirmer encore plus fort que la seule porte de sortie, durable et vertueuse, pour se réconcilier avec la nature est l'élevage paysan. Sans quoi l'urgence ne sera plus de défendre le terme «  fermier », mais l'élevage tout court.

 

Stéphane Galais,
paysan en Ille-et-Vilaine

 

(1) Le groupe Écologie démocratie solidarité (EDS), constitué en mai 2020 par 17 député·es, principalement ancien de La République en marche, a cessé son activité en octobre suite au départ de trois de ses membres, le seuil pour constitué un groupe à l'Assemblée nationale étant de 15 député·es.

(2) Steack barbare, par Gilles Luneau, l'Aube (éditeur) , 368 pages, 23 euros, parution en février 2020, présentation dans CS n°360.


Cet article est issu du numéro 367 de Campagnes Solidaires, le mensuel de la Confédération paysanne.

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