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CAMPAGNES SOLIDAIRES
28.01.2021

« On ne peut pas aller de crise en crise sans remettre en question le modèle industriel »

Le 5 janvier, la Confédération paysanne et le Modef des Landes ont tenu une conférence de presse chez une éleveuse du département, à Doazit. « Il est clair que les leçons n'ont pas été tirées des deux premiers épisodes d'influenza aviaire (en 2016 et 2017, NDLR) dans la prévention et la gestion de cette troisième crise », ont déploré les deux syndicats.

Le Sud-Ouest de la France est confronté depuis mi-novembre à une épizootie de grippe aviaire (virus H5N8) qui sévit aussi ailleurs en Europe. Les foyers se sont multipliés, surtout dans les Landes (les plus touchées) et le Gers, et gagnaient à la mi-janvier les départements limitrophes (332 foyers dans le Sud-Ouest au 20 janvier).

Entretien avec Sylvie Colas, éleveuse de volailles en plein air, porte-parole de la Confédération paysanne du Gers et référente nationale de ce dossier pour la Confédération paysanne.

 

Quel est l'état des lieux à la mi-janvier ?

La situation est explosive. Les premiers foyers sont des élevages intensifs avec des bâtiments de plus de 20 000 canards, plusieurs bâtiments sur la même exploitation et plusieurs exploitations de ce type concentrées sur des territoires restreints. On a là de véritables bombes microbiologiques car, cette filière étant très segmentée et la circulation des animaux est permanente en tout sens : de l'élevage naisseur avec ses couvoirs à ceux qui élèvent les canards jusqu'au stade « prêt à gaver » (dix semaines), puis aux sites de gavage, puis aux abattoirs, sachant que les « prêts à gaver » d'une exploitation peuvent être envoyés et répartis vers plusieurs gaveurs, parfois dans d'autres départements. Bref, ça circule de partout tout le temps, quand le virus n'est tout simplement pas envoyé dans l'environnement des élevages par les systèmes de ventilation des bâtiments… De ce fait, toutes les volailles des alentours peuvent être infectées : c'est le cas pour des élevages de poulets de chair et de pondeuses.

Face à ce système industriel, le gouvernement français ne fait pas dans le détail. Dans un rayon d'un kilomètre autour du foyer identifié, toutes les volailles doivent être abattues. Jusqu'à 5 km, on abat tous les canards, mais aussi toutes les volailles élevées en plein air. Jusqu'à 20 km, on interdit toute nouvelle mise en élevage. Si on considère qu'au 20 janvier, on a 332 foyers détectés dans la région, c'est énorme en terme de territoires et de nombres d'élevages impactés. Pour ceux-ci, ça signifie que les prochaines mises en place d'animaux à élever ne pourront pas se faire avant des semaines et des mois, pour la plupart (si tout va bien) en mai, avec pour conséquence de n'avoir pas de production à vendre pendant six mois.

Pour les petits éleveurs et éleveuses en vente directe, c'est très grave. Quand on vend en direct sur un marché, si on est absent près de six mois, on perd une bonne partie de sa clientèle.

Alors, bien sûr, l'État promet des indemnisations. C'est ce qu'est venu dire et répéter le ministre de l'Agriculture, à Auch le 11 janvier : « ne vous inquiétez pas, vous serez indemnisés ». Il n'a quasiment dit que ça. Mais si on se réfère à la précédente épizootie de grippe aviaire, en 2017, on constate que les éleveurs en circuits courts ont été mal indemnisés, l'estimation des pertes étant calculée sur les coûts de production du modèle industriel.

En plus, nous avons subi comme tout le monde les conséquences de la pandémie de Covid. N'ayant pas de problème d'indemnisation, payés rapidement en fonction de leur coût réel de production, les élevages industriels continuent de produire : dans les Landes, on estime avoir aujourd'hui un an de production en stock pour continuer d'alimenter la grande distribution. Mais les petits élevages en plein air, plébiscités en 2020, n'ont, eux, plus de stocks pour répondre à la demande, a fortiori s'ils n'ont plus le droit de produire car en zone frappée par la grippe aviaire.

 

Quelle est l'analyse de la Confédération paysanne ?

La Confédération paysanne dénonce le modèle industriel d'élevage des volailles, ici surtout des canards. Ce sont pourtant les petits éleveurs de volailles en plein air qui ont d'abord été accusés par les gros, qui disent que le virus serait arrivé par les élevages en contact avec la faune sauvage migratrice. Mais on voit et on sait bien que la contamination se fait aujourd'hui par voie humaine (les oiseaux migrateurs ne passent plus ici, cet hiver, depuis un bon moment). Ce sont les travailleurs et travailleuses qui entrent et sortent de ces grandes exploitations, ce sont les transports nombreux d'animaux par camion d'un site à l'autre qui véhiculent le virus, conséquence de la structuration de cette filière et malgré des mesures de biosécurité qui s'avèrent inadaptées et inadaptables à cette échelle.

Dans les petits élevages, les animaux sont généralement élevés sur place jusqu'à l'abattage et la transformation, les ventes se font majoritairement en circuits courts, on ne parcourt pas des kilomètres dans un sens et dans l'autre avec nos animaux. C'est d'ailleurs pour cela que nous avions obtenu la dérogation au devoir de garder enfermées nos volailles lors de la précédente épizootie de grippe aviaire en 2017 (sous un effectif total de 3200 bêtes par élevage), dérogation que les gros producteurs nous contestent toujours.

 

Que demande le syndicat ?

D'abord d'arrêter d'abattre des milliers d'animaux sains, de seulement abattre les animaux malades, d'autant que la grippe aviaire n'est pas transmissible à l'homme. Ces poulets et canards pourraient être consommés au lieu d'être gaspillés par milliers comme ça (1).

Face à ça, la résistance s'organise. Des éleveurs et éleveuses dont les élevages sont dans des zones concernées réfutent l'obligation d'abattage de leurs animaux. Ce qui s'était déjà passé en 2017, la Confédération paysanne étant à leur côté dans ce combat.

Ensuite, à un moment, il va falloir se mettre toutes et tous autour d'une table. On ne peut pas aller de crise en crise sans remettre en question le modèle industriel. Sinon, c'est sans fin et ça continuera à coûter très cher : les indemnisations de la crise de 2017 ont coûté 900 millions d'euros à l'État, sans compter d'autres dépenses publiques comme les aides régionales pour la modernisation de bâtiments… afin de pousser encore plus loin l'industrialisation au nom de la biosécurité. Il faut arrêter de construire et d'agrandir ces bâtiments et de financer ces travaux avec de l'argent public.

En attendant, dès les premiers indices et constats de l'arrivée de la maladie, dès l'alerte, il faudrait anticiper, rapidement réduire la densité des élevages industriels, arrêter de suite de mettre de nouveaux lots en place, limiter fortement les circulations d'animaux d'un site à l'autre...

Il faut, en parallèle, vite engager la désintensification de la filière, au niveau des élevages industriels comme des territoires à dé-spécialiser. C'est là que devrait être utilisé l'argent public. On doit aller vers la généralisation de l'élevage à échelle humaine, sur la base des 3200 animaux maximum présents simultanément sur une ferme. On n'a pas trop d'éleveuses et d'éleveurs de volailles, on a trop de volailles dans certains élevages. En ce sens, il faut bien indemniser toutes les éleveuses et tous les éleveurs touchés : aucun ne doit disparaître.

Mais on doit désormais favoriser les installations et la répartition. On doit aussi favoriser la biodiversité, accompagner les sélections de souches rustiques. Et adapter les outils à cette réorientation, par exemple en développant les petits abattoirs de proximité.

D'autant que d'autres questions se posent à celles et ceux qui veulent continuer à investir dans les grands bâtiments de la filière industrielle du foie gras. Déjà, on a le problème des virus qui circulent de plus en plus à travers le monde : le Covid nous le prouve et nous en sommes à la troisième épizootie de grippe aviaire en France depuis 2016. Mais on a aussi l'interdiction du gavage des canards déjà actée dans une douzaine de pays européens, avec un mouvement de fond de recul général de consommation : l'avenir de cette production à grande échelle est bel et bien en question.

Propos recueillis par Benoît Ducasse

 

(1) À la date du 14 janvier, 1,116 millions de volailles (essentiellement des canards) avaient été abattues dans le Sud-Ouest sur ordre de l'administration, suite à la détection de foyers ou de manière préventive pour limiter la propagation du virus.

 


 

La biosécurité pour les petits élevages de volailles

Conçu lors de la précédente épizootie de grippe aviaire, en 2017, ce guide proposé par la Confédération paysanne a été réactualisé depuis. Sa lecture et son usage sont donc toujours pertinents. Il propose un cadre pour la mise en œuvre de pratiques de biosécurité dans les petits élevages avicoles, en circuits courts et en autarcie. Il concerne la partie élevage uniquement et non les tueries, qui doivent respecter des normes particulières.

A lire et télécharger sur le site Internet de la Confédération paysanne ou sur : https://urlz.fr/eGo9


Cet article est issu du numéro 369 de Campagnes Solidaires, le mensuel de la Confédération paysanne.

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