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CAMPAGNES SOLIDAIRES
14.06.2021

Retour sur une formidable mystification scientifique (Partie 2)

George Harrison Shull, généticien américain (1874-1954)

La contestation des OGM a révélé aux paysan.nes comme au grand public que les grands semenciers sont prêts à tout pour empêcher les agriculteurs d'utiliser le grain qu'ils récoltent. Pour Jean-Pierre Berlan, ancien économiste de l'Inra*, cette confiscation du vivant à des fins de profit ne date pas d'hier, comme il l'explique dans ce triple article publié sur le site de la Confédération paysanne, en complément du numéro 373 de Campagnes solidaires.

II. Un détour extravagant : construire une population de maïs individuellement reproductibles ou clonables

Dans le paragraphe suivant, Shull expose les modalités pratiques de la méthode de l'isolement/clonage du maïs maquillée sous le nom d'hybridation. Elles se trouvent dans tous les cours et manuels de sélection. Mais personne n'a tenté, et pour cause, de les conceptualiser. Il s'agit de décomposer par une succession d'autofécondation les plantes hétérozygotes d'une population en lignées pures homozygotes. Le croisement de ces lignées pures comme AA, BB, cc etc. et aa, bb, CC, reconstitue la plante de maïs hétérozygote normale Aa, Bb, cC etc. La « détérioration » des lignées pures due aux autofécondations n'a aucune importance. Ces lignées pures homozygotes sont individuellement reproductibles, et par conséquent leur croisement est aussi individuellement reproductible. Bref, ce réductionnisme va dans le sens des attentes des biologistes.

Il y a toutefois une difficulté : « Puisque dans l'état actuel de nos connaissances, reconnaît Shull, il est impossible de prévoir la vigueur relative du croisement de deux lignées à partir de leur étude » (Shull 1908:301), l'opération se fait au hasard. Les croisements de lignées pures ne sont donc ni plus ni moins « hybrides » ou hétérozygotes que n'importe quelle plante de la population. Mais ces plantes ont acquis un caractère nouveau : elles sont désormais individuellement reproductibles. On comprend l'intérêt de détourner l'attention sur leur hybridité !

En somme le maïs « hybride » consiste à tirer au hasard un échantillon de lignées pures pour les croiser deux à deux. La moyenne des croisements de l'échantillon sera donc statistiquement égale à celui de la population, mais ces croisements (maintenant reproductibles individuellement) seront répartis de chaque coté de la moyenne. C'est exactement le résultat de l'expérience que présente Shull dans son dernier article (1909b). La moyenne de l'échantillon de ses 8 premiers clones est identique à celle de la population d'origine, mais le meilleur est supérieur de 8% à la moyenne de la population naturelle. Il ne reste plus qu'à appliquer la méthode de l'isolement/clonage et remplacer la population naturelle par ce clone supérieur.

Les « meilleures lignées pures » sont celles qui donnent un croisement supérieur. Il faut donc fabriquer ces croisements. “Pour trouver les meilleures lignées pures, écrit Shull, il est nécessaire de faire autant d'autofécondations que possible (« as practicable ») et de les poursuivre jusqu'à ce que l'état homozygotes soit atteint ou presque. Puis on fait tous les croisements possibles entre ces différentes lignées pures … Ces croisements sont alors étudiés pour leur rendement et d'autres qualités… et le sélectionneur retient le meilleur croisement » (Shull, 1909a, :57) Le meilleur croisement permet d'identifier meilleures lignées pures !

Qu'implique ce « as practicable » ? Supposons que nous partions d'un épi de seulement 100 grains et que chaque grain de cet épi donne lui-même un épi de 100 grains. Après la première autofécondation, nous voilà avec 10 000 semences que nous allons semer, puis autoféconder à nouveau. Nous avons alors 1 000 000 de semences. Nous poursuivons le travail pendant 6 générations (le pourcentage d'hétérozygotes diminue de moitié à chaque génération de plantes autofécondées) et à nous avons 1014 (100 000 milliards) lignées pures à 98,4% (1/26) qu'il faut croiser deux à deux soient 1028 clones qu'il nous faut tester. Le soleil aura fini briller avant que nous ayons réussi à exploiter l'hétérosis !

Non seulement c'est extravagant, mais surtout sa méthode ne permet pas d'améliorer le maïs autrement qu'une seule fois et à la marge !

Une seule fois ? Si nous tirons un nouvel échantillon de plantes clonables de la même population naturelle, nous allons retomber peu ou prou sur un « meilleur » clone proche du précédent. Deux solutions sont possibles pour sortir de l'impasse. Concentrer les caractères et gènes désirés dans les populations (ce que les humains font depuis les débuts de l'agriculture) permet de tirer des clones améliorés de populations elles-mêmes améliorées. Les « hybrideurs » américains finiront par le comprendre au cours des années 1940 quand ils constatent l'échec de leurs « hybrides » de second et de troisième cycle. Le terme « hybrideurs » (« hybrid breeders ») désigne ces sélectionneurs publics auquel le Ministre de l'Agriculture impose en 1922 d'exploiter l'hétérosis du maïs, les incrédules étant limogés. A la fin des années 1930, la supériorité des premiers clones (dits « hybrides » !) sur les variétés de ferme s'explique par des facteurs qui n'ont rien à voir avec l'hétérosis génétique.

En théorie, on peut aussi accroître la taille de l'échantillon pour extraire un clone vraiment supérieur. Mais avec 100 lignées pures ce sont 4 950 clones qu'il faut tester. Avec 1000, près de 500 000 ! Le sélectionneur doit donc se contenter de tirer un tout petit échantillon avec pour conséquence que le gain apporté par le meilleur clone sera marginal voire négligeable.

En résumé, la méthode de l'isolement appliquée au maïs ne peut qu'apporter une amélioration unique et négligeable. Shull avec sa lucidité et sa duplicité habituelles a compris l'impossibilité de la tâche. Il s'en défausse sur les sélectionneurs des Stations Expérimentales théoricien, car, Théoricien, « il a accompli sa part du programme » (Shull 1946 :548). Leur succès sera le sien et leur échec sera le leur. Et il cache la méthode de l'isolement derrière l'impénétrable rideau de fumée scientifique de l'exploitation de hétérosis. Car le dogme (le « paradigme ») de l'exploitation philanthropique de l'hétérosis qui prévaut depuis un siècle s'effondre dès qu'il se déchire.

Nous savons à quoi nous tenir sur le gain fabuleux de production de l'exploitation de l'hétérosis que célèbrent unanimement agronomes, généticiens et sélectionneurs. Il est inexistant !

Le lecteur de Campagnes Solidaires et le maïsiculteur en savent désormais assez pour comprendre qu'ils ont été dupés et pour expliquer la duperie à leurs voisins. Une duperie ruineuse : dans Le Monde du 18 juin 2004, nous estimions que ce surcoût des semences « hybrides » ou captives par rapport aux semences libres représentait le budget de l'Inra*, environ 3,5 milliards de francs. Mais ni la direction de l'Inra*, ni le ministère de l'Agriculture n'ont cherché comment éviter aux maïsiculteurs ces dépenses ruineuses.

Intéressons-nous maintenant aux problèmes réels que Shull cherche à résoudre. S'agit-il de faire progresser le rendement du maïs pour le plus grand bienfait des agriculteurs et de l'humanité comme la fable de l'exploitation de l'hétérosis miraculeuse veut le faire croire ? Evidemment non ! Il suffit pour cela de tourner à nouveau nos esprits libérés de la Méduse de l'hétérosis vers ce qu'écrit Shull lui-même.

La propriété et l'uniformité industrielle

« Le problème de l'obtention de semences de maïs qui produiront une récolte record peut, écrit Shull dans l'article fondateur de 1908, trouver une solution, au moins dans certains cas, semblable à celle adoptée par M. Q. I. Simpson dans la sélection des porcs par la combinaison de deux souches qui sont à leur qualité maximale à la première génération. Il est donc nécessaire de retourner chaque année à la combinaison originale plutôt que de sélectionner dans la descendance de l'hybride les animaux pour poursuivre la sélection » (Shull, 1908 :301). Message bien reçu de son auditoire de sélectionneurs. Pour un public plus large, il précise en 1946: «  Si l'agriculteur veut répéter les résultats splendides obtenus avec le maïs hybride, son seul recours est de retourner à l'hybrideur qui lui a fourni sa combinaison hybride » (Shull, 1946).

Au cours de la deuxième partie du 19ème siècle, l'hérédité, de tout temps source de richesse et de pouvoir, devient une force productive directe. Si semer le grain récolté marque le début de l'agriculture et de notre humanité moderne, elle viole le droit le plus fondamental de la société bourgeoise : la Propriété.  Conserver le pedigree original, conférer un prix à ce qui n'en a pas car gratuit et inestimable, privatiser un bien commun, éliminer le « privilège de l'agriculteur » purement imaginaire pour créer un privilège bien réel pour l'investisseur semencier, séparer la production de la reproduction, breveter le vivant, et tant qu'on y est « condamner, , ouvertures, portes, fenêtres, vasistas, œil-de-bœuf etc. par lesquels la lumière du soleil fait une concurrence déloyale aux marchands de chandelles » (Frédéric Bastiat était un journaliste libéral fanatique qui ridiculisait ainsi les protectionnistes), autant de façons de décliner la dynamique prédatrice du capital industriel.

Un système industriel implique aussi la production de masse de marchandises standardisées, normalisées, uniformisées. L'isolement/clonage de La Gasca/Le Couteur résout ce problème pour les céréales « true breeding » de la Révolution Industrielle anglaise comme pour le maïs. L'uniformité actuelle des champs industriels montre qu'ils sont les inventeurs de la sélection industrielle par isolement/clonage. Pour les premières, il conduit vers le droit d'obtention (un proto brevet) qui condamne les « variétés » cultivées à être « homogènes et stables » (admirons l'oxymore sur lequel repose la réglementation des semences !), à ne pas changer, en somme à être des morts-vivants. Mais le Traité de l'Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) de 1961 (impulsé et négocié par l'INRA) laissait encore intacte la pratique de semer le grain récolté. Cette pratique était qualifiée de « privilège de l'agriculteur », expression qui valait condamnation. Le capital ne doit-il pas dénoncer des privilèges inexistants pour construire les siens ?

En 1998, Genetics, la revue phare de la profession, célèbrait sous la plume de l'académicien James Crow le 90ème anniversaire du premier article de George Shull qui «  marque le début de l'exploitation de l'hétérosis dans l'amélioration des plantes, certainement l'un des plus grands triomphes de la génétique » (Crow, 1998). Triomphe oui, à condition de préciser qu'il est celui du capital industriel sur ce Vivant, bigarré, inattendu, gratuit – en somme vivant. Encore fallait-il supprimer la concurrence de méthodes socialement efficaces et utiles mais qui ne créent par de profit pour que réussissent celles qui ne le sont pas mais le créent. C'est une fois de plus, la tâche de l'Etat.

Lors du grand Symposium international L'hétérosis dans les cultures, des sélectionneurs de blé hybride sud africains déplorèrent leur échec « causé par la concurrence très vive et couronnée de succès de la recherche publique (…) utilisant les techniques et procédures conventionnelles » (CIMMYT, op. cit., p. 276). En 1922, aux Etats-Unis, sous prétexte d'hétérosis, le coup d'Etat scientifique des Wallace avait imposé la méthode de l'isolement/clonage aux sélectionneurs américains publics récalcitrants. Wallace père est ministre de l'agriculture. Son fils le deviendra pendant les terribles années de la Dépression après avoir fondé en 1926 avec une poignée de dollars Pioneer revendu … 10 milliards de dollars à DuPont en 2000. Bref, cette intervention « lyssenkiste » avant l'heure supprime cette « concurrence très vive ». Le triomphe du maïs « hybride » devenait possible : ainsi, un gain de rendement marginal et unique grâce à l'exploitation d'une fraction de la variation naturelle par isolement/clonage a-t-il pris la forme fantastique d'un gain de rendement illimité et continu grâce à l'exploitation de l'hétérosis par hybridation - aux dépens des agriculteurs et des peuples !

CIMMYT. Book of Abstracts. The genetics and exploitation of heterosis in crops; An international Symposium. CIMMYT, Ed.; Mexico, D.F., Mexico, 1998.

Crow, J.F. 90 years ago: the beginning of hybrid maize. Gen. 1998, 148, 923–928. 

Shull, G.H. The composition of a field of maize. Am. Breeders' Assoc. Rep. 1908, IV, 296–301.

Shull, G.H. A pure-line method in corn breeding. Am. Breeders'Assoc. Rep. 1909, V, 51–59. 

Shull G.H. Hybridization methods in corn breeding.  Am. Breeders'Assoc. Rep. 1909, VI, 63-72.

Shull, G.H. 1946. Hybrid Seed Corn. Science, 103, n° 2679, 547-550.

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