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CAMPAGNES SOLIDAIRES
21.06.2021

Retour sur une formidable mystification scientifique (Partie 3)

George Harrison Shull, généticien américain (1874-1954)

La contestation des OGM a révélé aux paysan.nes comme au grand public que les grands semenciers sont prêts à tout pour empêcher les agriculteurs d'utiliser le grain qu'ils récoltent. Pour Jean-Pierre Berlan, ancien économiste de l'Inra*, cette confiscation du vivant à des fins de profit ne date pas d'hier, comme il l'explique dans ce triple article publié sur le site de la Confédération paysanne, en complément du numéro 373 de Campagnes solidaires.

III. Les OGM ou la poursuite de la mystification par les mêmes méthodes

Dans ce réexamen de l'innovation emblématique de la recherche agronomique d'Etat, j'ai évité d'employer les termes habituels tels que hybride, hybridation, méthode d'autofécondation/hybridation (« inbred/hybrid method ») variété, variété hybride de maïs ou je les ai mis entre guillemets. Par exemple, l'expression « variété hybride » de maïs est, un double oxymore : il ne s'agit pas de variétés (étymologiquement, ce qui est varié), mais de clones et ces clones ne sont pas plus « hybrides » ou hétérozygote que n'importe quelle plante de maïs. Ce sont des clones propriétaires ou captifs, l'exact opposé des variétés libres des paysans avec lesquelles ils n'ont rien de commun. Si l'on ajoute que les « hybrides » sont supposés exploiter la « magie de l'hétérosis » (expression que l'on trouve dans la littérature scientifique !) si mystérieuse qu'elle échappe à la définition et l'explication des spécialistes, le vocabulaire scientifique rend la réalité inintelligible. C'est évidemment le but puisqu'il s'agit de préserver le dogme fondateur de l'hétérosis et le miracle du maïs « hybride ».

Cette même corruption du vocabulaire empêche de comprendre l'enjeu des prétendus Organismes Génétiquement Modifiés.

Le terme Ogm (organisme génétiquement modifié) pose la "modification génétique" au centre du débat. Il enferme notre compréhension dans un carcan scientifique apolitique. L'expression nous place sur le terrain de la modification génétique, mais nos critiques pèse peu face au savoir supposé des spécialistes. Et de toute façon, la formidable créativité technique des laboratoires ne rend-t-elle pas nos critiques rapidement obsolètes ? Au tout début les constructions transgéniques comportaient un gène de résistance aux antibiotiques. Problématique selon les critiques, il était sans conséquence pour les techniciens. Les critiques s'avérant pertinentes, les techniciens ont fait des constructions sans gène de résistance aux antibiotiques.

Le fauchage du tournesol « muté » du Cetiom en 2009 auquel une mutagénèse "naturelle" avait conféré une résistance à un herbicide illustre cette créativité et les problèmes qu'elle nous pose. Le Cetiom (Centre d'Etudes Techniques Interprofessionnel des Oléagineux Métropolitains) a eu beau jeu d'expliquer qu'il ne s'agissait pas d'un Ogm car ce tournesol avait été « obtenu par une méthode de sélection très ancienne et très classique, donc en aucun cas clandestine, faisant appel à la mutagénèse et à des croisements successifs ». Les faucheurs ont dû changer de terrain argumentaire : ils ont mis en cause l'herbicide, plutôt que la modification génétique. Cet herbicide, le même que sur le blé, pouvait provoquer l'apparition de résistances chez les adventices.

Ils mettaient ainsi le doigt sur la question essentielle : en somme, la méthode d'obtention (le processus) était secondaire voire indifférente, et l'essentiel était le résultat, la tolérance à l'herbicide et donc l'utilisation accrue de pesticide. Dans le cas du maïs hybride, c'est toujours le processus (auto fécondations/croisements) qui est décrit et jamais le résultat, la réalité, ces clone captifs ou propriétaires.

Cette façon de voir la réalité aurait dû être généralisée. Car si les techniques changent rapidement comme le démontrent les adjectifs successifs accolés à l'expression Ogm (mutés, cachés, naturels, nouveaux, crispés - on sera bientôt à court d'adjectifs !), le résultat, lui, reste toujours le même. Les Ogm réels, ceux qui sont cultivés, ceux qui entrent dans notre alimentation, poursuivent l'addiction des agriculteurs et plus généralement de notre société aux pesticides. Car « La graine, la promesse même » selon le beau titre du séminaire d'ethnobotanique du Musée de Salagon est entre les mains du cartel des pesticides, encore consolidé après le rachat de Monsanto par Bayer. Autoproclamé des « sciences de la vie », il inonde la planète de ses pesti-, herbi, fongi-, bactéri-, acari-, rodenti-, gaméto-, némati-, bactéri-, mollusci-, rodenti-, ovo-, larvi- etc.- cides. L'expression « variété hybride » cachait le fait qu'il s'agissait de clones propriétaires. Que cache l'expression Organisme génétiquement modifié, outre le fait que l'expression permet d'anesthésier les critiques. Car, n'est-ce pas ?, si une Nature brouillonne modifie tous les jours génétiquement les organismes vivants, la Science, elle, le fait maintenant de façon précise et ciblée.

Les « Ogm » sont des clones. Ils sont conformes aux lois et règlements d'Etat qui exigent des plantes commerciales « homogènes et stables ». Le premier adjectif signifie que les plantes doivent être identiques (aux défauts inévitables de fabrication près) et le second que la même plante soit vendue année après année. Le rôle semencier est donc de faire des copies d'un modèle de plante déposé auprès d'instances officielles - un quasi clone, pour simplifier de clone.1

Ce sont des clones pesticides. Le président Sarkozy il y a plus de 10 ans les a condamnés lors de son discours de clôture du Grenelle de l'Environnement. A l'époque 99,6% des « Ogm » commercialisés étaient des « Ogm pesticides » ! Le pourcentage n'a pas changé. Pourtant, on discute encore de la nécessité de les interdire. Ces clones pesticides sont de deux types, ceux qui produisent une toxine insecticide, ceux qui absorbent un herbicide sans en mourir. De plus en plus, ces deux traits s'empilent dans les « Ogm » récents. La toxine insecticide est produite par toutes les cellules de la plante. L'herbicide, lui, pour agir doit pénétrer dans la plante. La construction génétique introduite dans la plante neutralise son action. La plante survit et l'herbicide reste. C'est le cas du glyphosate/Round-up, cancérigène probable, qui a fait la fortune de Monsanto et pollué toute la Planète. Dans les deux cas, le pesticide entre subrepticement dans notre alimentation. Ainsi le statut des pesticides change-t-il : de produits toxiques à éliminer autant que possible de notre alimentation, ils en deviennent des constituants!

 

Ce sont des clones pesticides brevetés. L'enjeu ? Les être vivants se reproduisent et se multiplient gratuitement. La loi de la vie s'oppose à la loi du profit. La vie a donc tort. Ce projet mortifère, séparer ce que la vie confond, séparer la production de la reproduction, est propre au capitalisme industriel. Pour les plantes, il faut attendre, bien que dès la fin du 19ème siècle les sélectionneurs se plaignent de l'injustice de la Nature. Sa réalisation masquée commence avec le maïs « hybride » qu'impose, hélas, la Nature pour améliorer le maïs. En 1998, Terminator, cette technique de stérilisation des plantes, arrache le masque. Le scandale est tel que le brevet, le Terminator légal que concoctent la Commission Européenne et les Etats sous la dictée des multinationales agro toxiques prend du retard.

Faut-il débattre interminablement pour se rendre compte que quelque soit l'adjectif accolé, les clones pesticides brevetés déguisés en Ogm, nous conduisent au désastre? Des clones, alors que la diversité biologique cultivée est à l'agonie. Des clones pesticides qui permettent d'éviter les tests coûteux imposés aux agro toxiques chimiques et nous enfoncent dans l'addiction à des poisons qui créent leur propre marché et l'élargissent constamment car les ravageurs et les pathogènes les contournent inévitablement. Des clones pesticides brevetés qui confient notre avenir biologique au cartel  des produits en « cide », aux fabricants de mort. Et avec les techniques nouvelles Crisp indétectables qui échappent au cadre règlementaire des Ogm – c'est que qu'ont décidé les Etats-Unis de Trump et concurrence aidant, c'est une question de temps avant que l'Europe suive – l'ubris technicien, la démesure nous engloutira tous.

Appeler les choses par leur nom ouvre la voie à la convergence de luttes jusqu'ici menées en ordre dispersé : démonter une législation semencière dépassée imposant de commercialiser les clones industriels;  interdire les Ogm pesticides; lutter enfin contre l'addiction aux pesticides;  en finir avec le brevet du vivant;  chasser les fabricants de mort, les  Monsanto et autres Bayer de toute forme d'activité dans les semences, dans le vivant. Voilà qui est plus vigoureux que les demandes polies de transparence des études, de fin des conflits d'intérêts, d'indépendance de la recherche publique (comme si elle pouvait être dans notre société au service de l'intérêt des peuples!), des tests de toxicité plus précis etc., bref de tout ce à quoi conduit in fine l'utilisation de l'expression « Ogm ».

Chacun tirera ses propres conclusions de l'histoire du maïs « hybride » et de ses avatars « génétiquement modifiés ». Ses implications vont très loin : ne faut-il pas distinguer recherche publique de la recherche d'Etat, la première s'attachant explicitement à servir l'intérêt public et aider les agriculteurs qui veulent échapper aux griffes du capital industriel – la sélection participative par exemple - de la recherche d'Etat qui s'appuie sur les abstractions scientifiques pour supprimer les espaces de liberté et d'autonomie (celle qui a sévi en France depuis la guerre - et aux Etats-Unis bien avant) ? Les sciences agronomiques d'Etat ont-elles servi les peuples ou la volonté de l'Etat de d'accroître toujours sa puissance et sa domination et celle de ses parrains privés en industrialisant l'agriculture – aux dépens des peuples ? La situation agricole, écologique, alimentaire, sociale ne serait-elle pas bien meilleure si la recherche d'Etat (l'Inra* en l'occurrence) n'avait pas été créée à la Libération au nom d'une autre Méduse sémantique, celle du Progrès ? Cette recherche d'Etat est-elle innocente de l'effondrement social, écologique, humain, de santé publique en cours ? Faut-il continuer dans cette voie-là ou reprendre nos affaires en main ? Manifester pour plus de recherche d'Etat dans l'espoir d'un « ruissellement » n'est-il pas manifestement contraire à toute réalité ? Quelle confiance avoir dans la science et les scientifiques qui ont su si bien s'illusionner sur ce qu'ils faisaient pour se tromper en nous trompant mais sans se tromper sur les intérêts qu'ils devaient servir?

Un dernier point : l'agriculture et l'alimentation industrielles sont largement responsables du désastre global que maintenant personne, sauf les Trumpistes, ne nie, qu'il s'agisse de réchauffement climatique, de santé publique, d'épuisement des ressources comme les phosphates, de croissance urbaine, de pollution, de la déplétion des ressources en eau, de l'agonie des sols autrefois vivants transformés en support stériles à engrais et pesticides, de l'effondrement de la diversité biologique, d'élevage industriel, etc. Or 10 000 ans d'agriculture ont permis d'élaborer les méthodes agronomiques finement adaptées à leur milieu permettant de résoudre ces questions. Les perfectionner pour prendre soin de la terre, la cultiver « en bon père de famille » selon la vieille expression juridique balayée par le Progrès (le Profit), construire une société civilisée fondée sur les métiers et non les emplois, sur l'entraide et non la concurrence, sur le bien commun et non le profit, est non seulement possible, mais vital, et urgent. Mais la discrète Haute Pègre du CAC 40 (Elysée Reclus désignait ainsi la « haute société » de son temps) et sa pègre étatique, politique, médiatique, scientifique qu'elle expose sous les projecteurs pour nous duper ont autant de sens de l'urgence historique que les tiroirs caisses qui leur tiennent lieu de cervelle.

 

1 Là encore, le résultat importe, pas le processus. Pour le biologiste puriste, un clone est obtenu seulement par reproduction végétative, ce qui n'est pas le cas des plantes « homogènes et stables » de la législation. Mais l'oxymore « variété homogène », c'est-à-dire « diversité homogène » ( !!!) ne gêne pas sa bonne conscience biologique !

 

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