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CAMPAGNES SOLIDAIRES
17.02.2015

La folie des néonicotinoïdes

17.02.2015 -

Le 1er avril 2014, manifestation devant le siège de FranceAgriMer, dans la banlieue de Paris, pour réclamer l'interdiction des pesticides tueurs d'abeilles.

Jean-Marc Bonmatin, chercheur au Centre de biophysique moléculaire du CNRS*, à Orléans, est un des auteurs principaux et coordinateurs de la méta-étude publiée sur Internet en juin 2014 sur les risques des néonicotinoïdes et du fipronil pour la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes (1). Interview.



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1) Campagnes solidaires : Quel était le but de ce travail et sur quoi s'est-il fondé ?

Jean-Marc Bonmatin : Il s'agissait de reprendre toute la littérature et les informations scientifiques publiées sur cette famille de pesticides neurotoxiques (les néonicotinoïdes et le fipronil), employés depuis le début des années 90 et dont on peut estimer qu'ils représentent aujourd'hui plus du tiers des insecticides utilisés principalement en agriculture dans le monde.

Dans ce type de méta-étude ou méta-analyse, on n'invente rien : on rassemble tout ce qui est connu et publié – dans ce cas, près de 800 études ! - et les données sont analysées par une trentaine de chercheurs du monde entier dans les différents champs disciplinaires concernés, de la biologie à la physique, la chimie, la toxicologie... Notre préoccupation était d'évaluer l'impact de l'usage de ces insecticides sur la biodiversité. Nous voulions pour cela une vision nouvelle et très globale, à l'échelle mondiale, mais aussi très précise pour tous les milieux étudiés. Les huit publications qui constituent la méta-étude portent donc tant sur l'usage que sur le métabolisme, la contamination des eaux, des sols et des plantes, que sur les nombreux impacts sur les invertébrés, les vertébrés, les écosystèmes ou l'agriculture.

 

2) Quelles sont les principales conclusions ?

Les néonicotinoïdes et le fipronil sont des molécules insecticides extrêmement toxiques, cinq à dix mille fois plus toxique que le DTT pour les abeilles. Certaines ont des durées de vie très longues : il faut neuf mois pour que la moitié de l'imidaclopride, insecticide présent au semis en enrobage de semences, soit dégradé dans le champ. Et encore neuf mois pour qu'une moitié de cette moitié – le quart donc – le soit à son tour. Du coup, il en reste forcément quand on en remet une couche avec le semis suivant, et ça s'accumule. Par ailleurs, ces insecticides sont solubles dans l'eau. Ils passent des semences qu'ils enrobent dans la sève de la plante qui est ainsi protégée longtemps de ses ravageurs. Mais on les retrouve aussi dans toutes les parties végétales de la plante, y compris les fleurs, le nectar et le pollen dont se nourrissent les pollinisateurs. Restant majoritairement dans le sol, ils passent ensuite dans l'eau par le lessivage des sols et finissent par contaminer les eaux de surface et les eaux profondes.

De plus, même si les doses employées sont très faibles, ces molécules ont une toxicité chronique (absorption de très faibles doses mais régulières sur une longue durée) supérieure à leur toxicité immédiate. Rappelons qu'elles agissent sur le système nerveux central des organismes qui sont en contact ou qui les ingèrent. Une étude française publiée en 2014 (2) montre qu'en soumettant en laboratoire une population de mouches drosophiles à une dose d'imidaclopride (famille des néonicotinoïdes), on tuait immédiatement la moitié de la population à la concentration dite létale 50% (CL50). En diminuant la dose 170 fois mais en y soumettant les mouches durant huit jours, on arrivait au même résultat. Lorsque la dose était diminuée de 80000 fois, la mortalité était encore de 30% sur 8 jours. Diminuée par un million de fois, les effets sur la reproduction restaient visibles (accouplement et fécondité). Or les molécules étudiées sont désormais massivement utilisées partout dans le monde. Leur toxicité, leur durée de vie, leur facilité de transfert dans l'eau, le sol et l'air rendent leur utilisation régulière à grande échelle très préoccupante. Les organismes les plus impactés sont les invertébrés aquatiques (dont les crustacés, puces d'eau, zooplancton…), suivi par les invertébrés terrestres (dont les vers de terres et les microorganismes qui cyclent les nutriments). Les insectes pollinisateurs sont fortement soumis négativement à ces produits, comme le montrent les observations bien documentées sur les abeilles et sur leur fort déclin (l'abeille domestique étant un animal régulièrement observé puisque sujet à l'élevage).

Logiquement, les premiers vertébrés marqués par le phénomène sont les premiers prédateurs de ces vers et insectes : les oiseaux. Bien sûr, ils peuvent déjà mourir par empoisonnement après avoir ingéré des semences traitées, mais c'est surtout la raréfaction de leurs proies qui cause la chute de leurs populations. Aux Pays-Bas, où ces produits sont fortement utilisés dans la production de légumes et de fleurs, une étude publiée en 2014 montre que les populations d'oiseaux communs (moineaux, hirondelles, bergeronnettes…) sont en chute à cause de ces insecticides ces dernières années (3).

 

3) Qu'en déduire? Qui est interpellé à ce stade ?

Il faut désormais se pencher sur les effets sur la santé humaine. Nous avons été très surpris de trouver si peu d'études sur le sujet. Mais plusieurs sont en cours, nous attendons donc leurs conclusions dans les mois qui viennent pour prolonger notre méta-évaluation. La préoccupation est d'importance : à chaque repas on mange tous de ses insecticides, même si c'est à très faible dose...

Les premières publications n'incitent pas à l'optimisme, ce qui est malheureusement logique. On sait déjà que les pesticides en général sont impliqués dans plusieurs pathologies, comme la maladie de Parkinson. Une étude californienne (4) publiée l'an dernier s'est penchée sur les liens avec l'autisme (touchant un enfant sur 68 en 2014, au lieu d'un sur 150 en 2000, l'autisme a fortement augmenté  aux Etats-Unis - NDLR). L'étude révèle qu'une femme enceinte vivant plus de trois mois à moins d'un kilomètre et demi (1 mile) de zones agricoles utilisant régulièrement des pesticides a un risque 66 % plus élevé de voir son enfant développer cette affection.
Sur les néonicotinoïdes et le fipronil plus précisément, une étude japonaise publiée en janvier 2014 (5) s'est penchée sur leurs possibles conséquences sur la santé humaine, suite à plusieurs empoisonnements constatés aux urgences des hôpitaux. Les Japonais sont grands amateurs de thé. Leur pays est petit par rapport à sa population et les cultures de théiers sont très intensives, avec une utilisation importante de pesticides de la famille étudiée. Or nous avons vu qu'ils sont très solubles dans l'eau. La simple infusion des sachets de thé et la fréquente consommation de cette boisson font exprimer leur fort potentiel de toxicité chronique.

D'ores et déjà, suite à la publication de notre méta-évaluation, si les firmes ont fait jouer leur communication classique (déni, minimisation des impacts et autres dénigrements...), les pouvoirs publics ont ici ou là commencé à agir. Une province des Philippines a interdit purement et simplement ces pesticides. Au Canada, l'Ontario a décidé d'en réduire l'usage de 80 %. L'Union européenne réfléchit à la prolongation de la suspension des trois principales molécules – dont l'imidaclopride – décidée en 2013.

Mais un objectif important est de faire comprendre aux agriculteurs qu'à défaut de s'en passer complètement – ce qui serait l'idéal, d'autant qu'avant les années 90 on s'en passait très bien – il convient de changer radicalement les pratiques. Aujourd'hui, on utilise le produit insecticide dès le semis. C'est comme si on se mettait à prendre des antibiotiques de septembre à mai en espérant ne pas être malade durant l'hiver. C'est de la folie ! On estime que les neuf dixièmes des quantités utilisées de ces insecticides ne servent à rien. Les seuls s'en réjouir sont sans doute les fabricants.

 

Propos recueillis par Benoît Ducasse

 

(1) Texte original (version anglaise) publié dans Environnemental Science and Pollution Research  : http://link.springer.com/article/10.1007/s11356-014-3229-5

(2) Charpentier G, Louat F, Bonmatin JM, Marchand PA, Vanier F, Locker D, Decoville M. (2014). Lethal and sublethal effects of imidacloprid, after chronic exposure, on the insect model Drosophila melanogaster. Environmental Science and Technology. 1;48(7):4096-102.

(3) Hallmann CA, Foppen RP, van Turnhout CA, de Kroon H, Jongejans E. Declines in insectivorous birds are associated with high neonicotinoid concentrations. Nature. 2014 Jul 17;511(7509):341-3.

(4) Shelton JF, Geraghty EM, Tancredi DJ, Delwiche LD, Schmidt RJ, Ritz B, Hansen RL, Hertz-Picciotto I. (2014) Neurodevelopmental disorders and prenatal residential proximity to agricultural pesticides: the charge study. Environ Health Perspect 122:1103–1109;

(5) Taira K, Fujioka K, Aoyama Y. Qualitative profiling and quantification of neonicotinoid metabolites in human urine by liquid chromatography coupled with mass spectrometry. PLoS One. 2013 Nov 12;8(11):e80332.

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