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CAMPAGNES SOLIDAIRES
17.05.2022

« On ne sort pas indemne de cette histoire »

En mars, près de 8 millions de volailles ont été abattues en Vendée, lors d’une vague de grippe aviaire sans précédent (cf.CS n°382). Au point que les éleveuses et éleveurs ont du eux-mêmes euthanasier leurs animaux et enfouir les cadavers sur leurs fermes. Témoignage de Marie, éleveuse en Vendée.

Nous sommes éleveurs de volailles de chair, au sein d'un groupement exclusivement bio.
Début mars, l'angoisse de la grippe aviaire est là. Nous apprenons que des collègues sont touchés. On s'appelle, on prend la mesure du risque. L'angoisse augmente : en rentrant dans les bâtiments, on a peur de ce qu'il y a derrière la porte...
Le vendredi, une réunion téléphonique du groupement nous fait part de l'objectif de dépeuplement
au 30 avril. Nous pensons que nos animaux auront peut-être la chance d'aller au bout de leur 90 jours. Nous renforçons notre vigilance.
Le lundi, mortalité suspecte de quelques animaux. L'autopsie faite avec le technicien montre qu'ils se défendent contre quelque chose, ça sent pas bon.
Le mardi, la mortalité double, on parle alors d'une quarantaine d'animaux sur un lot de 4000. La
visite du vétérinaire pour les prélèvements des écouvillons est programmée pour le lendemain.
Les techniciens de notre groupement nous accompagnent au quotidien. Ce soir là, on est résignés, on commence à se préparer, on imagine naïvement une équipe prendre en charge l'euthanasie de nos volailles, l'évacuation et la désinfection. On absorbe cette réalité, et les pertes économiques qui y seront liées.
La mortalité continue le lendemain, nous n'avons déjà plus de place dans le congélateur qui est
d'habitude prévu pour les morts. Les animaux sont fiévreux. Peu de doute : c'est sûrement la grippe
aviaire. Les 20 prélèvements, déposés en labo, se révélent tous positifs.
Pourtant, nos animaux sont dans de bonnes conditions d'élevage en bio (densité, nombres d'animaux, souche…). Mais on comprend alors, surtout, que l'euthanasie sera à notre charge, dans tous les sens du terme. Horrible. Difficile à accepter, à assumer. Il faut prendre sur nous pour ne pas laisser traîner la situation. La colère laisse place à la résignation, on en vient a discuter de la «meilleure» façon de tuer nos animaux, impensable, sans moyen à notre disposition pour cela.
On commence à mettre des choses en place, on coupe la distribution de l'aliment, la ventilation. Nuit blanche.
Jeudi matin : ça sent la mort dans le village. Notre bâtiment est jonché de cadavres de volailles, mais il reste des vivants, plus que nous pensions. On prend contact avec les instances officielles pour programmer l'enfouissement des cadavres à la ferme. Ça sera le samedi après midi. Avant, le vétérinaire devra constater l'euthanasie de tous nos animaux. Il faut donc finir de les tuer. On débranche nos cerveaux…  
Les équipes qui d'habitude nous aident à charger les volailles pour l'abattoir seront là, avec les techniciens, pour nous aider à tuer et à charger les cadavres. Lhydrogéologue, accompagné de la police de l'environnement et de la chambre d'agriculture, valide par sondage le site de la fosse
commune.
Le plus dur, c'est le préjudice moral d'avoir eu à tuer nos animaux. Et encore, nous n'étions pas seuls. La force du collectif, plus que jamais, notamment ici en bio où on semble garder ces valeurs. Mais comment une éleveuse ou un éleveur peut affronter ça, c'est juste impensable...
Je pense aussi à nos parents qui nous ont transmis la ferme, qui assistent impuissants à tout ça, et à nos enfants qui nous ont vu vulnérables, qui nous ont posé plein de questions.
Tout autour de nous, les élevages de volailles y passent, mais bizarrement aucun mort dans les basses-cours des particuliers, et pour l'instant pas non plus chez nos collèges en petits lots d'animaux, en vente directe. Cela pose des questions.
Ce n'est pour moi en aucun cas la faute de la faune sauvage. La concentration trop importante de volailles dans nos régions d'élevage est en cause. Comment allons-nous pouvoir gérer ça l'hiver prochain ? Ne pourrait-on pas laisser nos animaux - qui semblent plus résistants - dehors ? Est ce que des aides à la cessation d'activité ne seraient pas plus profitables que la planche à billets chaque année, en favorisant l'élevage de qualité ?
Nous sommes remplis de doutes sur l'avenir de l'élevage de volailles sur nos territoires. Nous allons nous en remettre, j'espère, mais on ne sort pas indemne de cette histoire. Et on ne peut qu'espérer qu'aucun éleveur ou éleveuse n'ait à vivre ou revivre ça.

Photo : Le 13 avril, à Nantes, manifestation en soutien aux élevages de volaille en plein air. Les paysan·nes ont rappelé que « la densité des élevages est le plus fort facteur de risque de propagation de la grippe aviaire. Et qu'il faut trouver des solutions autres que la mise sous cloche des élevages plein air. »


Cet article est issu du n°383 de Campagnes solidaires, le mensuel de la Confédération paysanne.

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