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ELEVAGE
16.01.2023

La lactation longue : une fausse bonne idée

Nous sommes nombreuses et nombreux, éleveuses ou éleveurs de brebis ou de chèvres, fromagers ou non, à être interpellé·es, sur nos marché ou ailleurs, à propos d'une stratégie d’élevage qui fait débat ces derniers temps : la lactation longue.

Vous avez pu en entendre parler à la radio (1) ou le lire sur la toile (2) : la lactation continue, ou lactation longue, y est un peu présentée comme la solution magique qui nous permettrait de produire du lait ou du fromage sans mort animale. L'idée peut séduire, mais en tant qu'éleveuse, plusieurs points me paraissent imprécis, voire faussés.
Pratiquer cette méthode de lactation - plutôt employée dans des élevages de chèvres (cf. encadré) -, c'est ne plus faire naître de cabri, d'agneaux, tous les ans, ou seulement une fois pour provoquer la lactation. Cela pose un premier problème : le fait de ne pas pouvoir élever le renouvellement, soit les femelles qui vont être élevées au sein du troupeau pour produire, à leur tour, du lait. Certains élevages font le choix de toujours acheter leurs jeunes animaux pour renouveler le troupeau, pour des raisons qui leurs sont propres, mais il peut être difficile de trouver des animaux adaptés à son propre territoire ou à son mode d'élevage. L'adaptabilité à l'environnement se fait beaucoup par la sélection intra-troupeau et, pour des races dites à faible effectif, comme la chèvre du Rove, c'est limiter la diversité au sein de son troupeau et au sein de la race-même que de réduire le nombre de naissances. Ne plus faire de mises bas, c'est devoir acheter ces animaux dans d'autres élevages qui, eux, pratiquent forcément les naissances et auront autant de femelles que de mâles. On ne participe plus à cela chez soi, mais d'autres le font forcément pour nous.
Les pratiques d'élevage ne sont pas toutes les mêmes. Pour des animaux élevés dans des zones de pâturage devenant très pauvres en hiver et qui peuvent ne pas être complémentés par des céréales ou autres, le maintien de la lactation paraît difficile à mettre en œuvre : les chèvres ou les brebis vont souvent se tarir d'elles-même. Ce modèle peut fonctionner sur un territoire géographique donné mais n'est pas forcément reproductible partout. Inutile de vous dire que l'élevage en Bretagne - une zone où l'herbe pousse (normalement) presque toute l'année - ou en montagne ne fonctionne pas de la même façon.
La période des mises bas serait tellement difficile qu'il vaudrait mieux s'en débarrasser ? Même s'il est vrai que pendant cette période, les animaux demandent un soin et une attention un peu plus importants afin de détecter d'éventuels problèmes, pour ma part je trouve que ce moment de l'année est magique, quand l'odeur de nos bêtes nous colle à la peau. Une période éreintante, mais qui annonce le début de la saison, de la vie, c'est la joie et le (re)commencement de mon métier d'éleveuse.
Tout comme les naissances sont le début, la mort en est la fin. La mort des jeunes que l'on a élevés à cette fin, avec amour et soin est inéluctable. Vouloir éviter la naissance des veaux, chevreaux ou agneaux pour avoir du lait et du fromage sans mort animale n'est-elle pas un leurre ? Ne se pose t-on pas la mauvaise question ?
L'élevage de chèvres laitières, tel qu'il s'est développé, nous a amené à un système déconnecté du vivant où le chevreau est devenu un sous produit que l'on sépare de sa mère dès la naissance et que l'on vend à très faible prix, sans vraiment savoir ce qu'il devient. Ces chevreaux sont devenus un tel poids (financier) que certain·es font le choix de les tuer dès la naissance. Et je pense pouvoir affirmer qu'aucun éleveur ou éleveuse ne fait cela avec joie.
Le problème ? Nous sommes nombreux et nombreuses à consommer du fromage de chèvres, mais combien d'entre nous consomment de la viande de cabri ? Très peu, trop peu.
Les choses doivent évoluer, et ce n'est pas qu'aux éleveuses et éleveurs de s'atteler seuls à ce changement : les consommateurs et les consommatrices, ainsi que les pouvoirs publics, doivent le faire aussi.
La lactation longue est applicable par celles et ceux qui le veulent, mais ce n'est pas LA méthode miracle. Certain·es la pratique et peuvent pâturer toute l'année, d'autres le font sur la moitié de leur troupeau pour avoir moins de naissances, d'autres encore préfèrent avoir une période sans production pour ralentir le rythme des journées.
Echanger sur nos pratiques est toujours positif, mais s'opposer les un·es aux autres non. Faire croire que l'on pourrait consommer du fromage sans causer aucune mort animal est-il vraiment la bonne voie ?

Florine Hamelin,
éleveuse de brebis laitières


(1) France Culture, émission Les pieds sur terre (24/10/2022) : https://urzl.fr/k2Dm
(2) Reporterre (04/11/2022) : https://urzl.fr/k2DD

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