Vers la fin des paysan·nes ?
Extrait du dernier numéro de Campagnes solidaires (n°396 - juillet/août 2023)
Entre 2000 et 2020, la part des exploitations individuelles et GAEC est passée de 88 % à 69 % des unités de production. Plus flagrant encore, la part de la surface agricole utilisée par les unités familiales et paysannes (exploitations individuelles et GAEC) a reculé de 77 % à 58 % quand la part exploitée par les SCEA (1) et SA (2) a doublé passant de 7 à 14 %. De plus, ces chiffres officiels sous-estiment la concentration foncière, car une même personne peut détenir des parts majoritaires dans deux ou plusieurs sociétés (EARL** (3) et SCEA ou SA). Deux, trois et même cinq « exploitations » forment une seule unité de production contrôlée par la personne qui est le bénéficiaire final. Façon de contourner le contrôle des structures et d'optimiser les aides Pac. Hors régulation forte des marchés fonciers, cette tendance ne s'arrêtera pas. On peut imaginer à terme que les 18 millions d'hectares de terres arables soient entre les mains de 1 000 ou 10 000 sociétés.
La manœuvre
L'adoption de ce décret, sans débat public, va permettre devendre les fermes françaises aux appétits des fonds de pension privés, spéculatifs et des firmes de l'agrobusiness ou de la grande distribution. Il sera ainsi théoriquement possible de rentrer dans le capital d'une société, d'en prendre un contrôle largement majoritaire, de mettre à la tête de l'exploitation un·e gérant·e, possédant seulement 5 % des parts, et de toucher des aides Pac, ainsi que tous les droits afférents à la qualité d'agriculteur·ice actif·ve (soutiens publics, fiscalité...).
Avec seulement 5 % du capital d'une société, cette personne n'aura pas de poids face aux autres actionnaires. C'est la porte grande ouverte à la financiarisation de l'agriculture et à l'asservissement du monde agricole à des investisseurs extérieurs. Les pires scénarii sont envisageables : intégration totale des producteur·rices dans la filière de production, prise de contrôle d'investisseurs extérieurs sur le capital des fermes, perte définitive et totale de l'autonomie décisionnelle des paysan·nes débouchant ainsi sur leur disparition pure et simple, remplacé·es par des gérant·es à la solde d'impératifs financiers. Ces sociétés pourront truster l'enveloppe du 1er pilier de la Pac et continuer à écraser les fermes voisines.
Les cédant·es n'auront comme option que de laisser partir leur ferme à l'agrandissement. L'outil de production et donc la production d'alimentation échapperont irrémédiablement aux travailleur·euses de la terre. Déjà engagé·es dans un cycle d'endettement, de surinvestissement, avec une autonomie financière toute relative, les paysan·nes seront définitivement asservi·es au modèle capitaliste et entrepreneurial. De quelle agriculture parlons-nous ? Des parcelles de plus de 100 hectares, des itinéraires techniques très simplifiés, des salariés et des sous-traitants qui réalisent les travaux et bien évidemment une maitrise foncière complètement perdue.
Les manœuvres des dirigeants de la FNSEA*, contre l'intérêt même des agriculteurs·trices, doivent être connues et partagées avec l'ensemble de la profession. Cette définition doit être revue, sous la pression du terrain. La Confédération paysanne défendra ainsi de toutes ses forces les intérêts des paysan·nes contre les intérêts capitalistes de quelques un·es.
Laurence Marandola, porte-parole
(1) Société civile d'exploitation agricole
(2) Société agricole
(3) Exploitation agricole à responsabilité limitée