La viticulture prend l’eau

Irrigation d’une vigne (Pixabay)
La vigne n'est elle pas avec l'olivier la plante la mieux adaptée à la sécheresse, à la chaleur ?
Mais quand le vignoble annexe les terres autrefois utilisées pour l'alimentation humaine et animale , c'est à dire les terres d'alluvions, des bords de rivières, des terres sablonneuses ne retenant peu d'eau, alors, logiquement, la vigne souffre. Et je n'insiste pas sur les cépages dits « bordelais », inadaptés dans le Midi...
Elle souffre d'autant plus qu'on lui demande des rendements souvent exagérés, sur des parcelles pauvres en humus, alimentées en engrais chimiques, ne laissant pas la possibilité aux racines de s'enfoncer dans le sol, la soumettant forcément à de forts stress hydriques.
Alors voilà que, face aux montées de températures et aux sécheresses récurrentes, des cris s'élèvent pour réclamer l'irrigation de ces vignobles.
Dans un village voisin, une association syndicale autorisée (ASA), groupement de viticulteurs propriétaires fonciers, s'est constituée pour pouvoir irriguer 290 hectares, dont 84 % de surface en vignes et 15 % de terres destinées à être plantées en vigne. Les viticulteurs concernées demandent plus ou moins ouvertement à pouvoir produire jusqu'à 90 hectolitres par hectare, comme l'autorise l'appellation IGP*** « Pays d'Oc. Une conduite très intensive de la vigne, donc.
La Mission régionale d'autorité environnementale s'interroge sur le prélèvement d'eau dans le Fresquel, cours d'eau ayant un état écologique moyen à médiocre de fait de la présence de pesticides et qui présente un régime hydrologique marqué par des étiages sévères, pouvant se traduire par des quasi assecs.
Si cela se fait quand même, ça coûterait à la collectivité près d'1,8 million d'euros. Un autre projet d'irrigation, proche de Carcassonne sera, lui, subventionné à 80 % pour un montant d'investissement de 3,5 millions d'euros.
Il y a clairement spoliation de la ressource en eau et discrimination d'argent public au profit de quelques-uns.
Et tout ça pourquoi ? Dans les bénéficiaires de l'ASA voisine, une structure exportait du vin en Chine à 1,50 euro la bouteille. Mieux : face à un marché atone, le président du Syndicat des Vignerons de l'Aude réclamait, fin septembre dans la presse locale, « une distillation de crise ». On pourra donc récupérer à la distillation du vin l'eau mise dans les vignes pour grossir les raisins. Tout ça, bien sûr, facturé à la collectivité.
La perte de sens est manifeste, avec le maintien d'un corporatisme destructeur de la part de ces porteurs de projet et de ceux qui les financent. Quand un rapport sénatorial indique que la France est à la limite de la souveraineté alimentaire, quand le recensement agricole d'Occitanie montre, qu'entre 2010 et 2020, la région a perdu 12 % de son potentiel agricole , il faut voir plus haut, plus loin que le capot de son tracteur tout neuf ! Oui, il y a trop de vignes implantées sur des terres propices à de la production nourricière. Et oui, il y a dilapidation d'argent public. Il faut mettre en place un nouveau contrat social entre l'agriculture et la société : le financement monstrueux englouti pour compenser les errements viticoles pourraient en partie faciliter ce contrat afin de remettre la vigne à sa place et assurer l'alimentation de nos territoires.
Il s'agira aussi de retrouver un sens au travail vigneron. Les teneurs du Temple du Marché, englués dans leurs convictions corporatistes, conservatrices, dangereuses, ont perdu plus que la raison : leur âme. Entraînant avec eux un monde en voie de perdition.
Robert Curbières,
vigneron retraité dans l'Aude